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Susam-Sokak

Turquie - Les racines du présent - Le blog d'Etienne Copeaux


Esquisse n° 60 - Les obsèques d'Alparslan Türkeş

Publié par Etienne Copeaux sur 20 Janvier 2016, 13:52pm

Catégories : #La Turquie des années 1990

 

 

La liste des personnalités présentes aux obsèques de Türkeş en 1997 nous confirme qu'en Turquie le crime paie en politique ; que le DYP de Çiller, « droite modérée », était en fait la vitrine présentable des idéaux du MHP ; et qu'au cours de cette période, la lutte armée, violente, contre les Kurdes, créait un consensus autour de ceux qui affirmaient le plus fortement sa nécessité. Le 8 avril 1997, les obsèques offraient le spectacle d'un éventail politique allant du CHP au MHP, mais inspiré par le MHP.

 

[Cet article fait suite à l'esquisse n° 59, "Türkes et le MHP, nation race et religion"

Les obsèques de personnages politiques sont toujours un moment fort, un moment de remémoration où les médias publient des nécrologies parfois prêtes depuis longtemps. Un moment d'évaluation, de jugement, de critique qui prennent forme et s'imposent dans les jours, les semaines qui suivent. Mais les obsèques elles-mêmes peuvent être un événement. En Turquie, elles sont souvent un véritable eylem, une manifestation de protestation, parfois violente, si le défunt est une victime de l'un ou l'autre camp ; ou une démonstration de force, une proclamation, face à la foule, aux médias, au monde, de poursuivre l'oeuvre du défunt. Si la tristesse est là, elle est elle-même mise en scène. Il est des cérémonies d'obsèques où les larmes sont de bon goût ; en d'autres circonstances, les larmes sont retenues car « les martyrs ne meurent pas » et la tristesse doit laisser la place à la colère, à la promesse de vengeance.

 

Démonstration de force: les obsèques d'un cadre local du MHP

Le 3 février 1997, à Kartal (banlieue est d'Istanbul), Nihat Uygun, 31 ans, un petit artisan responsable local du parti ultra-nationaliste MHP, est assassiné. Ses trois agresseurs, qui l'ont abattu devant chez lui, sont des « kominist » du parti d'extrême gauche TIKB (Union des communistes révolutionnaires de Turquie - Türkiye İhtilalci Komünistler Birliği) et revendiquent leur acte : « Il a payé pour la répression dans les lycées et les universités ! ». A la fin de l'année 1996 en effet, des manifestations d'étudiants avaient été violemment réprimées ; le début de 1997 était extrêmement tendu, avec les suites du scandale de Susurluk, et la manifestation permanente de protestation contre la collusion entre l'Etat, la mafia et l'extrême-droite, chaque soir, « Une minute d'obscurité pour faire la lumière ». Les islamistes alors se font visibles et agressifs, avec l'événement de Sincan (Ankara), et l'armée réplique et menace en promenant ses chars. La répression contre les Kurdes emploie les grands moyens, et l'Etat lance ses « équipes spéciales » chéries par la vice-première ministre Tansu Çiller. Bref, le MHP, qui n'était pas au pouvoir, imposait ses vues. Un chef local comme Nihat Uygun devait être un seigneur de quartier.

Ses obsèques sont à l'avenant. D'ailleurs le quotidien Radikal, pour décrire les deux événements du jour, les chars à Sincan et ces obsèques du petit chef, utilise la même expression, gövde gösterisi, « démonstration de force ». Deux mille personnes au moins assistent aux obsèques, dix mille selon Zaman. Le plus remarquable est qu'une brochette de hauts personnages sont venus honorer le défunt : Tuğrul Türkeş, fils du Başbuğ et vice-président du MHP ; le président national des Foyers idéalistes (Ülkü Ocakları) ; le préfet d'Istanbul Rıdvan Yenisen, ce qui en dit long sur l'imprégnation de l'Etat par le parti. Enfin, on remarque surtout la présence de Mehmet Ağar, personnage résumant à lui seul toutes les collusions dénoncées par la société civile de l'époque : ancien chef de la police et directeur de la Sûreté, député d'Elazığ sous étiquette DYP, ministre de la Justice puis de l'Intérieur (1996), et compromis dans divers scandales impliquant l'extrême-droite, y compris celui de Susurluk, au point d'être plus tard jugé et brièvement incarcéré (2012-2013). Ağar fut l'un des artisans de la contamination de la police par le MHP, et des liens entre la droite dure et l'islamisme par le biais de la secte des Süleymancı.

Le cercueil du chef local est enveloppé d'un drapeau, comme c'est le cas pour les soldats tombés au combat : il est ainsi traité en martyr de l'Etat. Devant le siège local du parti, l'assistance est conviée à respecter une minute de silence et à chanter l'hymne national. Dans le cortège, un drapeau géant est porté à l'horizontale par les jeunes militants. La foule crie des tekbir (affirmation de l'unicité de Dieu) et les slogans proférés expriment la synthèse turco-islamique imprégnant ces esprits : « Même si notre sang doit couler, l'islam vaincra ! (Kanımız aksa da zafer islamındır) », « Rien n'arrêtera le mouvement islamiste ! (Islami hareket engellenemez!) ». Et l'objectif principal du MHP, qui pourrait-on dire unit le parti et l'Etat : « Les martyrs ne meurent pas, la patrie est indivisible ! (Şehitler ölmez vatan bölünmez !) ». Ainsi, en quelques slogans, est mise en lumière la porosité entre l'ultra-nationalisme, l'islamisme et la lutte armée contre les Kurdes.

Les obsèques d'un cadre local de parti minoritaire étonnent par l'ampleur du cortège, le haut rang de certains participants, et le caractère politique de la cérémonie : un représentant officiel de l'Etat, un ancien ministre et chef de la police, très impliqué dans les organisation mafieuses et islamistes, et le fils du Başbuğ en personne. Comme dans le cas de l'identité des victimes de l'accident de Susurluk (une chef de la police, un chef de tribu, un membre de la mafia), on trouve, réunis pour ces obsèques, l'essence du pouvoir de l'époque. Outre la porosité entre les idéologies signalée par les slogans, la réunion de ces personnalités en met au jour une autre, entre l'extrême-droite (MHP) et la droite classique (DYP), et entre la police et le monde politique. Et tant par la personnalité des présents que par les slogans proférés, il illustre également que tout ce monde tend vers un seul but : l'écrasement de la rébellion kurde.

 

Les obsèques du "Başbuğ" Alparslan Türkeş

Deux mois plus tard, le 4 avril 1997, Alparslan Türkeş est terrassé par une crise cardiaque, à 80 ans. Jusqu'au 8 avril, date des obsèques, la presse et le monde politique s'empare du sujet. Sur le plus célèbre leader de l'extrême-droite turque de ce siècle, chaque organe de presse, chaque personnalité politique, doivent avoir une opinion. Türkeş est, avec Erbakan, Ecevit et Demirel, le représentant d'une époque, l'un des acteurs, dont la carrière remonte aux années cinquante, d'une période chaotique. Il a été militaire, militant, putschiste, quasi homme d'Etat, leader d'un parti d'opposition et tête d'un système mêlant politique et mafia. Il a commandité des centaines, voire des milliers d'assassinats. Pour la moitié au moins du monde politique, il est censé être l'ennemi, il représente « le fascisme ».

Le lendemain du décès, le quotidien Cumhuriyet, qui symbolise tout ce que les ülkücü abhorrent, et qui dénonce l'extrême-droite avec constance, reste très froid dans la relation de l'événement, avec une simple petite accroche en première page, et une photo sur laquelle Türkeş semble congratuler Tansu Çiller : par l'image, le sujet principal est abordé d'emblée, c'est l'imprégnation du monde politique par le nationalisme. Le traitement contraste avec celui de Sabah, qui, sous une énorme manchette (« Türkeş est mort ») affiche ce qui est peut-être la dernière photo du leader, où il est en compagnie d'une chanteuse de charme lors d'une réception. Le même jour, Milliyet préfère le représenter en chef politique, à la tribune, sur fond de drapeau aux trois croissants. Les quotidiens spéculent déjà sur la succession (le fils Tuğrul, le politico-mafieux Mehmet Ağar, l'économiste Devlet Bahçeli, ou l'ambitieux Muhsin Yazıcıoğlu ?) et commencent à diffuser la biographie du « grand platane abattu » qui a « mis sa marque sur la vie politique des 53 dernières années » (Sabah). Mais l'actualité, c'est aussi l'événement direct, l'émotion, les réactions. Dès que le malaise de Türkeş a été annoncé par les médias, les militants du MHP, les ülkücü ont accouru en foule devant l'hôpital où il est soigné. Ils prient, ils lancent des slogans en faisant le signe du loup.

Partisans de Türkeş devant l'hôpital où il décède d'une crise cardiaque. Photos publiées par Sabah et MilliyetPartisans de Türkeş devant l'hôpital où il décède d'une crise cardiaque. Photos publiées par Sabah et Milliyet

Partisans de Türkeş devant l'hôpital où il décède d'une crise cardiaque. Photos publiées par Sabah et Milliyet

Après l'émotion et la surprise vient le temps des rétrospectives. Le 6 avril, Cumhuriyet propose une biographie précise, sèche et sans concessions par Hüseyin Feyzullah qui dépeint en Türkeş « un admirateur de Hitler », « qui porte une grande responsabilité dans 5000 meurtres commis entre 1970 et 1980 », notamment l'assassinat d'Abdi Ipekçi, icône du grand journalisme turc (1979). Türker Alkan, dans Radikal (8 avril), revient de même sur les influences racistes qui ont formé Türkeş au cours des années trente et quarante, ses liens avec Nihal Atsız et Reha Oğuz Türkkan (un personnage qui jusque dans les années 1990 publiait des opuscules « prouvant » que les Indiens d'Amérique sont des Turcs...). Alkan estime que, depuis son retour en politique en 1983, Türkeş a travaillé à faire oublier ce passé raciste, et il aurait plus ou moins réussi. Et en effet, au cours des années 1990, Türkeş est admis dans la classe politique, et ses obsèques le prouvent, comme on va le voir. Pour Alkan, la Turquie et le monde ont changé. « Les mouvements politiques ont trouvé leurs limites et sont rentrés dans le rang, sauf les islamistes. Le problème d’aujourd’hui n’est pas le MHP mais le Refah [le parti islamiste d'alors] ». Par la suite, le long exercice du pouvoir par l'AKP, successeur du Refah, semble donner raison à Türker Alkan. Mais celui-ci avait bien tort de voir en ces deux partis, MHP et Refah, des tendances incompatibles. Justement, le MHP a agi avec tant d'obstination sur la vie politique turque, en récupérant si efficacement à la fois la propagande kémaliste et certaines idées-force de l'islamisme, il a tellement naturalisé le nationalisme qu'on peut voir dans la politique actuelle d'Erdoğan une victoire du MHP. Si le MHP, en 1997, pouvait ne pas passer pour un « problème », c'est qu'il respectait et continue de respecter les codes du kémalisme. En un sens, il s'était intégré alors dans l'establishment politique.

C'est peut-être pour cela que plusieurs chroniqueurs, en ces jours d'avril 1997, avouent ne pas comprendre comment s'est opérée la métamorphose de Türkeş, avant et après 1980 : en 1960, il contribue à abattre le premier ministre Menderes ; dans les années 1990, ce dernier est perçu comme un héros de la mouvance turco-islamique et et sa mémoire est encensée par les cercles et médias nationalistes, sans que les ülkücü ne trouvent rien à reprocher à leur Başbuğ... (cf. Hakkı Devrim, Radikal, 6 avril 1997).

L'avis de décès de Türkeş, publié par le MHP dans de grands quotidiens sur une pleine page le 8 avril 1997, exprime bien cette islamisation de la biographie de Türkeş par lui-même et par ses proches : « La perte de Monsieur le Basbug Alparslan Türkeş nous laisse dans une immense tristesse. Au cours de sa vie de quatre-vingt années, il a trouvé son inspiration dans l'idéal turco-islamique. Toute sa vie, il a travaillé pour le bien du nationalisme turc, pour le bonheur de la nation turque, pour la liberté et l'indépendance du monde turc. Il a oeuvré au progrès, à la modernité, à la richesse, au bien-être de la turcité, il s'est dépensé pour porter au plus haut son niveau moral et matériel par ses plans et ses programmes. Il a repris l'héritage laissé par le leader du monde turc le kaghan Bilge [VIIIe siècle], il a estimé que là où vit un Turc dans le monde, là se trouve une parcelle de la nation. En fils de la grande nation turque, porteur des valeurs des Forces armées turques, grâce à ses efforts au sein de l'Organisation du plan, de l'Institut national des statistiques, de la Fondation pour l'énergie nucléaire et de tant d'autres institutions, il a contribué au progrès de la nation turque dans la science, la connaissance, la technologie. Dans sa vie politique, de par sa personnalité distinguée, élevée en accord avec la nation, il s'est montré un homme d'Etat hors pair, au service de la cause turco-islamique ; il est le fondateur, l'architecte, le guide de la philosophie du mouvement idéaliste (ülkücü). Nos condoléances à la nation turque qui a perdu le président général du Parti du mouvement nationaliste (MHP), le Basbug du monde turc Alparslan Türkeş ».

Le même jour, 8 avril, les obsèques ont lieu à Ankara, sous la neige. On ne sait pas combien de personnes se pressaient dans la foule. Certains médias comme Sabah parlent d'un demi-million. Et au même moment, des cérémonies in absentia se déroulent dans toute la Turquie et au nord de Chypre, avec autant de cercueils (vides) recouverts du drapeau turc, et des foules de Loups gris proférant les slogans du MHP.

En première page de Türkiye, 9 avril 1997

En première page de Türkiye, 9 avril 1997

 

 

Dès cinq heures du matin, la capitale Ankara est bloquée par les convois provenant de tout le pays. Radikal souligne avec justesse que ces obsèques sont un gigantesque meeting du MHP. Cinq mille policiers veillent, protègent, et un cordon complet sépare le corbillard de la foule. Le cortège se déroule sur quatre kilomètres, pendant huit heures. Au long du trajet, il fait halte devant des lieux significatifs, le temps d'une cérémonie particulière : l'Assemblée nationale ; l'hôpital où Türkeş est décédé ; le siège central du MHP ; la mosquée de Kocatepe et enfin devant l'Anıt Mezar, le mausolée d'Atatürk.

La simple liste de ces lieux établit une topographie de l'ambition de Türkeş et de son courant, qui symbolise la recherche d'une triple légitimité : institutionnelle (l'Assemblée), religieuse (la mosquée Kocatepe, la plus grande d'Ankara) et idéologique, l'étape au Mausolée se voulant une déclaration de filiation et d'héritage. En outre, le détour par le siège du parti après la halte à l'Assemblée dit très clairement une alliance entre le parti et l'Etat, une alliance qui existe de facto même si le MHP n'a jamais vraiment gouverné.

Les slogans du jour disent aussi les alliances et les revendications de légitimité. Non seulement les tekbir proférés tout au long du cortège, mais les « Başbuğ ölmez (le Başbuğ est immortel) », par effet de symétrie avec le slogan habituel « şehitler ölmez (les martyrs ne meurent pas) », assimilent Türkeş à un martyr, c'est-à-dire, dans le cérémonial turc, un homme tombé pour l'islam et pour l'Etat. Ce sont en effet des obsèques d'homme d'Etat car, dans sa tombe, on dépose de la terre de chaque département de Turquie et du territoire nord-chypriote, comme on le fait chaque 10 novembre au mausolée d'Atatürk. Cette référence constante, explicite ou non, à Atatürk n'a pas tout de suite choqué dans les grands médias. Il s'avère par les signes, ce jour-là, que Türkeş était un personnage consensuel...

Le plus extraordinaire, et le plus porteur de sens, est la liste des personnalités qui rendent hommage à Türkeş en présentant leurs condoléances, ou en se rendant aux obsèques. Le 5 avril, on voit défiler au siège du MHP, outre les responsables du parti comme Devlet Bahçeli (futur successeur) : Bülent Ecevit (alors président du DSP, Parti démocratique de gauche qui devient premier ministre en 1999), Mesut Yılmaz (président de l'ANAP, droite classique, ancien et futur premier ministre), Abdullah Gül (cadre du Refah, ministre et futur président de la république), et Deniz Baykal, président du parti kémaliste CHP. Lors des obsèques, l'Etat est représenté au plus haut niveau par le président en exercice, Süleyman Demirel, et le premier ministre Necmettin Erbakan, qui sont là « épaule contre épaule » selon Türkiye qui voit là la réconciliation momentanée de la droite classique et de la droite islamiste. La vice-première ministre, Tansu Çiller, est là, la tête couverte d'un fichu, et prie et pleure ostensiblement. Çiller qui a personnellement fait publier dans l'organe du MHP, Ortadogu, un avis mortuaire en pleine page louant « le grand homme d'Etat qui a apposé sa marque sur notre histoire ».

Bülent Ecevit (photo Sabah) et Tansu Çiller (photo Radikal) lors des obsèques de Türkeş. Editions du 9 avril 1997Bülent Ecevit (photo Sabah) et Tansu Çiller (photo Radikal) lors des obsèques de Türkeş. Editions du 9 avril 1997

Bülent Ecevit (photo Sabah) et Tansu Çiller (photo Radikal) lors des obsèques de Türkeş. Editions du 9 avril 1997

 

 

S'il n'y a pas, ce jour-là, de critique ouverte de ce consensus en réalité choquant, Radikal se délecte à dresser la liste des people qui viennent se montrer aux obsèques. Le plus étonnant, Bülent Ecevit, l'homme de gauche (très modérée), réputé intègre, droit. Plus étonnant encore, il réprime ses sanglots et pleure celui qui a fait assassiner tant de militants ! « Nous avions des vues différentes, dit-il en allant présenter ses condoléances au siège du MHP, mais son décès me rend très triste » (Milliyet, 6 avril 1997). Radikal signale aussi, cruellement, la présence de Bayram Meral, le président du puissant syndicat Türk-İş, un homme de la gauche institutionnelle lui aussi. Sont-ils venus saluer (pour Ecevit) un ancien compagnon de prison des années 1980 ? Se sentent-ils, en tant que membres de l'establishment politique, faire partie d'un même groupe social, dont les membres se déchiraient certes mais qui somme toute partageaient le même territoire, l'Etat et ses ressources ? Etait-il jugé inconvenant dans la Turquie de l'époque de ne pas être vu aux obsèques de Türkeş ?

D'autres présences sont moins étonnantes. Comme lors les obsèques de Nihat Uygun en février, la plus voyante est celle Mehmet Ağar, soulignée par les médias. Très protégé par des membres surarmés des « équipes spéciales », le politico-mafieux pour l'heure très compromis par l'affaire de Susurluk est malgré cela l'un des postulants pour la succession du Başbuğ. On remarque également d'anciens militants du MHP ou d'autres organisations d'extrême-droite : Namık Kemal Zeybek, ancien cadre du MHP, ancien ministre de la culture ; Nihat Akgün, un redoutable parrain de la mafia, assassiné en 1999 pour une affaire de dettes entre gangsters. Des personnalités en postes, comme Ismail Kahraman, ancien président de l'Union nationaliste des étudiants turcs et ministre de la culture ; la ministre de l'Intérieur Meral Akşener ; le ministre de l'éducation Mehmet Sağlam ; le maire d'Ankara, des directeurs et anciens directeurs de la Sûreté, mais aussi Fethullah Gülen, et un vieil imam d'Erzurum, Naim Hoca, qui s'est laissé manipuler par le DYP au cours de ses dernières années. Türkeş passant, selon un chroniqueur du quotidien Türkiye, pour « l'homme qui a réveillé le monde turc », celui « qui avait annoncé l'union de tous les Turcs », l'Azerbaïdjan est représenté par trois ministres, et le territoire chypriote turc par un ministre lui aussi tueur, Kenan Akın, qui avait abattu en été 1996 un jeune Chypriote grec au cours d'une manifestation sur la Ligne verte. Il n'y aurait pas eu de plus belle assemblée si le défunt avait été vraiment un homme d'Etat.

Cette assemblée nous confirme qu'en Turquie le crime paie en politique ; et que le DYP de Çiller, « droite modérée », est en fait la vitrine présentable des idéaux du MHP ; et qu'au cours de cette période, la lutte armée, violente, contre les Kurdes, crée un consensus autour de ceux qui affirment le plus fortement sa nécessité. Le 8 avril 1997, Ankara offre le spectacle d'un éventail politique allant du CHP au MHP, mais inspiré par le MHP.

Il a fallu attendre quelques jours pour lire dans la grande presse, notamment dans Cumhuriyet, des analyses critiques. Le 11 avril, Melih Cevdet Anday dans un article intitulé « Avons-nous oublié ? » s'insurge contre le consensus des derniers jours, critique l'association des symboles religieux et nationalistes/racistes. Ataol Berhamoğlu, le lendemain, scandalisé par l'autorisation donnée par le Conseil des ministres pour la la construction d'un mausolée à Türkeş, rappelle les innombrables assassinats perpétrés par ses partisans, et le résultat, « une constellation de bandes et de mafias qui lui faisaient allégeance » (Ataol Berhamoğlu : « Basbug’un ölümü », Cumhuriyet,12 avril 1997).

La classe politique pourtant semble avoir oublié les assassinats. Sabah du 10 avril 1997 rapporte les propos tenus la veille par Tansu Çiller, lors d'une cérémonie d'hommage à Türkeş au siège du DYP : « Nous avons perdu un grand homme d'Etat. Un homme aux idéaux valeureux (...). Alors que le XXIe siècle approchait, il avait entrevu la renaissance de la grande nation turque, et cinq républiques turques indépendantes ont pris leur place sur la carte du monde. (…) Certes, il n'est pas parvenu au pouvoir en tant que leader politique. Mais cela le rend encore plus grand. (…) Il a été mêlé au coup d'Etat du 27 mai [1960], mais il n'a jamais cessé d'exprimer ses regrets, il avait conscience de son erreur. Il a vécu en démocrate sincère. Je suis certaine que nos amis du MHP vont poursuivre sa mission vers le succès » (Sabah, 10 avril 1997). La complaisance du monde politique conservateur à l'égard de l'extrême droite ne pourrait être exprimée plus clairement.

 

Articles consultés

 

« Türkeş öldü », Sabah, 5 avril 1997

« Alparslan Türkeş öldü », Cumhuriyet, 5 avril 1997

« Türkeş'le cezaevi günlerimiz », Cumhuriyet, 6 avril 1997 (Oral Çalışlar)

« Türkeş'in yaşamı çalkantılarla dolu », Cumhuriyet, 6 avril 1997

« Fırtınalı 80 yılın öyküsü », Sabah, 8-12 avril 1997 (Hulusi Turgut)

«  Dualarla uğurladık », Türkiye, 9 avril 1997

«  Kıbrıs’ta Türkeş için dua », Sabah, 10 avril 1997

«  Milliyetçi’ hareket », Türkiye, 10 avril 1997 (Veysel Gani)

«  Türklüğü uyandıran lider Türkeş », Türkiye, 10-13 avril 1997 (Arslan Tekin)

«  Çiller : Türkeş’in misyonu sürecek », Sabah, 10 avril 1997

«  Başbuğ ırkçılığı kesinlikle karşıydı », Türkiye, 10 avril 1997 (Kenan Akın)

«  Mefkure, lider ve Türkeş », Türkiye, 11 avril 1997 (Fuat Bol)

« Unuttuk mu ? », Cumhuriyet, 11 avril 1997 (Melih Cevdet Anday)

« Bozkurtların doğumu », Türkiye, 12 avril 1997 (Yavuz Bülent Bakiler)

« Devlet adamı Türkeş », Türkiye, 12 avril 1997 (Yılmaz Altuğ)

« Başbuğ’nun Ölümu », Cumhuriyet, 12 avril 1997 (Ataol Berhamoğlu)

« Başbuğ’un ölümü münasebetiyle », Zaman, 12 avril 1997 (Ali Ünal)

« Türkkan’ın ağzından Türkeş », Zaman, 12 avril 1997 (Ömer Erbil)

« O, büyük bir devlet adamı idi », Türkiye, 12 avril 1997 (Ismet Miroğlu)

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