Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Susam-Sokak

Turquie - Les racines du présent - Le blog d'Etienne Copeaux


On ne peut pas prévenir un séisme mais on peut prévenir une catastrophe

Publié par TMMOB - trad. E.C. sur 8 Février 2023, 18:55pm

Comme suite à l'article précédent, j'ai choisi de traduire un texte de la même source, l'Union des chambres d'ingénieurs et et architectes de Turquie (TMMOB), mais beaucoup plus récent, publié sur le site de cette association le 18 août 2022, à l'occasion de l'anniversaire du grand séisme de la Marmara (1999).

Nous sommes six mois avant le grand séisme qui a dévasté l'immense région s'étendant au sud-est de la Turquie, d'Antioche à Diyarbakır…

On ne peut pas prévenir un séisme mais on peut prévenir une catastrophe

À l'occasion du 23e anniversaire du tremblement de terre de Marmara/Gölcük (17 août 1999), l'un des plus douloureux de notre histoire, la Chambre des ingénieurs civils de la TMMOB est déterminée à rappeler avec insistance le souvenir de la catastrophe. Tout en réaffirmant que le droit au logement, qui est l'un des droits humains fondamentaux, doit être accessible à tous nos concitoyens, nous voulons rappeler aux pouvoirs publics leurs devoirs et responsabilités pour que la construction de bâtiments sûrs et sains soit assurée.

Jusqu'à présent, on a beaucoup parlé de la préparation aux tremblements de terre, de la sécurité des bâtiments, de l'évaluation des dommages, et beaucoup de choses ont été écrites et dessinées sur ces questions. Pourtant, dans notre pays, on ne parvient pas à empêcher qu’un tremblement de terre, événement naturel, se transforme à chaque fois en une catastrophe. En effet, les lois et les règlements adoptés, les plans et les projets créés après des années de travail restent sur le papier sans être mis en pratique, et les travaux réalisés restent au niveau du pansement des plaies après la catastrophe.

Notre pays, qui est situé en plein dans une géographie sismique, a été confronté à des tremblements de terre destructeurs à de nombreuses reprises. La région de Marmara ayant conservé sa position de centre économique et socioculturel du pays, pendant des siècles, les tremblements de terre survenus dans cette région ont eu de graves conséquences.

L'un des tremblements de terre les plus dévastateurs de l'ère républicaine, tant en termes de pertes humaines et matérielles qu'en termes de conséquences sociales et économiques, a été celui de Gölcük [sur la mer de Marmara, en face d’Istanbul], le 17 août 1999, d'une magnitude de 7,4. On peut dire qu’il a touché tous nos concitoyens, directement ou indirectement, puisque la région touchée est le centre de production et de commerce du pays, accueillant des populations migrantes de toutes les autres régions. 20 000 de nos concitoyens ont perdu la vie, et le nombre de blessés a dépassé les 50 000. Au total, 365 000 bâtiments ont été endommagés dans la région, 113 000 ont été détruits.

L'ampleur des pertes et des dommages, ainsi que les problèmes rencontrés dans la réponse post-séisme, ont été si graves que l'impact de ce tremblement de terre est considéré comme l'une des causes importantes de la crise économique de 2001.

La secousse du 17 août 1999 a été une étape importante dans la perception des séismes. On a discuté non seulement des interventions nécessaires après une catastrophe, mais aussi des mesures à prendre avant sa survenue. On a compris que l'urbanisation sauvage et non planifiée et les structures dépourvues de services d'ingénierie constituent une grande menace. Des études ont été réalisées par de nombreuses institutions et organisations sur ce qu'il convient de faire à cet égard. Elles ont été combinées et transformées en stratégies et plans d'action.

Notre chambre a également réalisé diverses études sur ce sujet. Elle a organisé des congrès et des ateliers sur les tremblements de terre, préparé des rapports et conduit des études pour éclairer le public et le sensibiliser aux séismes. Après des années de travail, les problèmes liés aux tremblements de terre et ce qui doit être fait pour les résoudre sont clairs.

Le parc immobilier existant devrait être amélioré et consolidé

La mise en œuvre des décisions prises dans le cadre du plan d'action national en matière de tremblements de terre (NESAP), créé en 2011 par décision du Conseil des ministres et qui couvre les années 2012-2023, fut l'effort le plus important en matière de préparation aux tremblements de terre.

Selon le NESAP, il est prévu de créer un inventaire des bâtiments en Turquie, notamment des écoles et des hôpitaux, et de regrouper les bâtiments existants en fonction de leur vulnérabilité et de leurs risques. Toutefois, le rapport 2021 de la Commission sur les tremblements de terre créée en 2020 au sein de l’Assemblée nationale, souligne que même la méthode à suivre pour procéder aux travaux d'inventaire et d'identification des bâtiments à risque n’a pas été déterminée. Ces inventaires auraient dû être achevés en 2017 pour que les travaux soient réalisés en 2021…

Il faut donc accélérer les travaux d'inventaire du parc immobilier existant, déterminer la situation actuelle, identifier les bâtiments qui doivent être renforcés ou rénovés de toute urgence et rendre le parc immobilier conforme aux normes parasismiques, conformément à un plan.

 

On ne peut pas prévenir un séisme mais on peut prévenir une catastrophe

Un chef de chantier à temps plein pour chaque chantier!

Selon les observations et les évaluations des équipes techniques, les principales raisons de l'effondrement et des dommages importants des bâtiments lors des tremblements de terre sont les suivantes:

Problèmes liés à la qualité du matériel,

Problèmes liés au détail des armatures,

Problèmes d'effondrement des colonnes de l'étage inférieur,

Problèmes de construction de colonnes courtes.

D’importantes questions telles que le manque de supervision dans la phase de conception, de fabrication et d'utilisation sont identifiées.

Le diagnostic est clair. Les dommages structurels causés par les effets des tremblements de terre sont en grande partie dus au manque de supervision pendant ou après la construction des bâtiments. Par conséquent, l'élimination des problèmes dans le processus de production des bâtiments devrait être le premier devoir des autorités.

La tâche la plus importante dans la réalisation de bâtiments, conformément aux principes de l'ingénierie, incombe au chef de chantier. Le manquement à cette obligation accroît les erreurs de construction et donc les dommages en cas de tremblement de terre.

Le devoir du chef de chantier est de veiller à ce qu'un bâtiment soit construit en conformité avec les techniques et avec le projet qui constitue la base du permis de construire, et d'assurer la planification des travaux et des opérations de construction. En plus, il a une autre tâche importante qui est le respect de la santé et de la sécurité au travail sur son chantier. La Turquie est l'un des pays où le nombre d’accidents du travail mortels est le plus élevé au monde. Le fait de ne pas remplir correctement la fonction de chef de chantier est l'une des principales raisons de ces niveaux de décès des ouvriers.

C'est pour cette raison que nous, en tant que Chambre des ingénieurs civils, soulignons que, sauf dans des circonstances limitées, chaque chef de chantier ne devrait être affecté à plein temps qu'à un seul chantier.

Un système d'inspection des bâtiments devrait être organisé

Par la loi n° 4708 sur l'inspection des bâtiments, le service d'inspection, qui est un service public, a été abandonné à des intérêts affairistes. Le système d'inspection étant laissé à la détermination des relations commerciales, la recherche du profit a pris le pas sur les règles de la technique, de la science et de l'art.

Dans un système fonctionnant sainement, les services de planification, de conception de projets, de production et d'inspection doivent être considérés comme complémentaires les uns des autres. En conséquence, la loi sur le zonage, la loi sur l'inspection des bâtiments, la loi sur la transformation des zones exposées aux risques de catastrophes, et toutes les lois et réglementations connexes doivent être réorganisées selon une approche d’ensemble, en tenant compte du principe de l'intérêt public.

Au lieu du modèle de la société d'inspection des bâtiments envisagé par la loi actuelle, qui vise à épargner l’intérêt privé, il faudra mettre en œuvre un nouveau processus d'inspection fondé sur l'efficacité d'inspecteurs des bâtiments dotés de compétences et de valeurs éthiques, et qui garantira la participation effective des chambres professionnelles au processus. Dans cette modélisation, la supervision du projet et la supervision du bâtiment doivent être séparées l'une de l'autre.

La « transformation urbaine » est devenue un massacre urbain

Le premier devoir de l'État est d'établir des villes saines, sûres et vivables et de créer un environnement vivable. Cependant, aujourd'hui, sous le nom de « transformation urbaine » (Kentsel Dönüşüm), la transformation axée sur la rente est réalisée par l'État sans tenir compte des exigences techniques et scientifiques des disciplines de l'ingénierie, de l'architecture et de l'urbanisme, des besoins de la société et de la structure socio-économique. Le tissu historique et naturel des villes est détruit.

Aujourd'hui, la rénovation et la transformation urbaines sont mises en œuvre en fonction du marché immobilier, alors qu'il y a tant de bâtiments qui attendent d'être rénovés et renforcés dans nos villes, notamment à Istanbul. L’urbanisation se fait non pas par l‘amélioration et la sécurisation de bâtiments à risque, mais par la construction dans des zones à forte valeur locative. À tel point que l’urbanisation se fait ex nihilo sur des terrains vides.

La réalisation du projet « Kanal İstanbul » [un doublement du Bosphore par une voie d’eau artificielle à l’ouest d’Istanbul], à l'ordre du jour depuis des années, ferait en sorte qu'un tremblement de terre se transformerait en une catastrophe bien plus importante. Outre le fait qu’il déclencherait un désastre environnemental pour la région de Marmara, on ne connaît pas les risques et les coûts qui seraient créées par la division en deux de la partie européenne de la ville, qui présente une séismité très élevée, par une nouvelle voie d'eau. Les possibilités de la ville actuelle de réponse aux catastrophes sont déjà presque bloquées, puisque les zones de rassemblement et les voies de transport d’urgence ont été supprimées par l’urbanisation.

L'un des moyens permettant d'éviter qu'un tremblement de terre ne se transforme en catastrophe consiste à réduire la densité urbaine et à transformer la ville. Au contraire, on calcule qu'avec le projet Kanal İstanbul, environ 8 millions de personnes s'ajouteraient à la population actuelle, qui atteindrait 25 millions d’habitants. Ainsi la Thrace (la partie européenne de la Turquie) compterait au total, en incluant Istanbul, 40 millions d’habitants.

Des sommes énormes sont dépensées pour des investissements que notre pays devra payer pendant de nombreuses années, tandis que les structures les plus fonctionnelles et nécessaires du pays sont détruites. L'ancien aéroport Atatürk, qui était le seul aéroport d'Istanbul doté d'une liaison ferroviaire, est potentiellement une base stratégique importante pour une ville soumise à un risque sismique. Cette importante ligne d'évacuation et d'approvisionnement d'Istanbul doit être maintenue prête à l'emploi. Aujourd'hui, le projet de destruction de l'aéroport Atatürk et de son remplacement par un jardin national ne cadre pas avec la raison et la logique.

Le projet Kanal Istanbul

Le projet Kanal Istanbul

Amnistier les constructions non conformes au zonage est une invitation à la mort

Le parc immobilier existant est mal connu. Alors qu'il existe un grand nombre de bâtiments dont on ignore comment et à quel degré ils seront affectés par un éventuel tremblement de terre, les amnisties de zonage accordées par les pouvoirs publics augmentent la menace de perte de vies et de biens.

Dans notre pays, les amnisties de zonage ont été l'une des principales incitations à la construction illégale et il est désormais difficile d’avoir la certitude de pouvoir vivre dans des habitations saines et sûres. La délivrance par l'État d'un permis de construire devrait signifier que l'État garantit à ses citoyens une vie en toute sécurité dans ce bâtiment. Dans le cas où ces structures, qui n'ont pas reçu de services d'ingénierie, sont endommagées par des événements naturels, la responsabilité incombe à l'État et à l’autorité qui a pris cette décision.

Les demandes d'amnistie de zonage, qui se multiplient avant les élections et sont accordées par calcul politique, devraient cesser, et les bâtiments bénéficiant de l'amnistie de zonage devraient être inspectés.

Conclusion

Notre pays traverse une période très difficile. Dans les conditions de la crise économique, il est clair que les conséquences d'un éventuel séisme majeur seront beaucoup plus graves que celles de la crise de 2001. En outre, nos villes sont devenues tellement surpeuplées, non planifiées, les constructions illégales ont progressé à un point tel qu'un grand danger nous guette en termes de pertes de vies et de biens (…). Les effets d'un tremblement de terre majeur, en particulier à Istanbul et dans la région de Marmara, sur la Turquie tout entière sont imprévisibles.

En tant que Chambre des ingénieurs civils (İMO) de la TMMOB, nous souhaitons nous adresser à la fois aux institutions et organisations et à l'ensemble du public. Il est possible de renverser ce tableau pessimiste grâce à notre coopération. En tant qu'İMO, nous sommes prêts à participer à la prévention des événements naturels, notamment des tremblements de terre, pour éviter qu'ils ne se transforment en catastrophes, grâce à nos connaissances scientifiques et techniques, notre expérience de terrain et notre personnel qualifié. Comme nous l'avons mentionné plus haut, les problèmes sont clairs et les solutions le sont aussi.
C’est une question de volonté.

Chambre des ingénieurs civils de TMMOB

Conseil d'administration

Note : L'amnistie de zonage est une amnistie délivrée par les autorités publiques dans les cas où les litiges juridiques liés à des immeubles construits en violation du plan d'urbanisme ne peuvent être résolus dans les tribunaux. Les litiges existants sont clos par l'amnistie de zonage, soit à titre onéreux, soit gratuitement. Source : https://www.emlakwebtv.com/imar-affi-nedir/7888).

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents