Discours d'Erdogan à Malazgirt, 26 août 2017

Publié par Etienne Copeaux sur 8 Février 2019, 11:10am

Catégories : #La Turquie d'aujourd'hui, #Sous la Turquie - l'Anatolie

[Ce document est un complément aux études sur les commémorations de la bataille de Malazgirt sur susam-sokak.fr]

http://www.susam-sokak.fr/2019/01/malazgirt-1.html

http://www.susam-sokak.fr/2019/01/malazgirt-2.html

(et bientôt une analyse des allocutions prononcées ce jour)

Discours d'Erdogan à Malazgirt, 26 août 2017

A Malazgirt, ce 26 août 2017, après une heure d'allocutions et présentations diverses sous un soleil de plomb, le maître de cérémonie donne la parole à « la voix forte des opprimés, la voix libre des sans-voix, l'espoir des millions de personnes qui tire sa force de notre nation, le garant de notre unité, de notre concorde, de notre fraternité ». Erdogan se lève avec le sourire sans qu'on ait besoin de prononcer son nom, car il se reconnaît dans cette titulature, il se tourne vers le général et lui sourit, le général le congratule.

Voici l'essentiel de son allocution, prise en notes d'après la vidéo mise en ligne sur youtube. La version diffusée par la presse turque en diffère sensiblement, car durant la plus grande partie de son intervention, Erdogan a parlé sans consulter ses notes.

« De Malazgirt, je vous salue, frères dispersés à travers le monde ! Cette victoire a ouvert à notre nation un nouvel avenir. Quatre années seulement après Malazgirt, l'Etat seldjoukide d'Anatolie a été proclamé dans ce cadre géographique. 'Ya Allah bismillah ! Allahuekber !' disaient les soldats d'Alparslan lors de ce vendredi béni [de 1071]. Alparslan, fonçant à la tête de son armée, tenant dans sa main droite le drapeau rouge et dans la gauche le fanion vert, a fait de l'Anatolie notre patrie éternelle. Puis, courant de victoire en victoire, [les Turcs] glorieux et prestigieux sont parvenus au cœur de l'Europe ! Par cette victoire notre nation a gagné une nouvelle patrie, un nouvel avenir !

« Cinq ans plus tard seulement, les Turcs étaient à Iznik [ouest de l'Anatolie] et ils ont proclamé l'Etat seldjoukide d'Anatolie. Et deux siècles plus tard seulement s'est mis à pousser l'immense platane ottoman à l'ombre duquel nous nous sommes rassemblés.

« Anatolie ! Ô Anatolie, patrie paradisiaque, dont le sol est pétri de sang et de souffrances, Anatolie notre passé... Anatolie, le plus bel héritage que nous laisserons à nos enfants. Depuis 946 ans tu es avec nous. Et tu continues d'être l'espoir des frères turcs et musulmans (Türk soyadaslar, Türk dindaslar) ».

[A cet instant un drapeau géant est déployé horizontalement depuis la scène, couvre l'assistance et se déplace d'épaules en épaules lentement vers le fond]

« Honte à celui qui ne te pleure pas, à la conscience qui ne tremble pas pour toi. Voici un siècle, de tous les côtés, nous avons été assaillis. Mais nous avons réagi à Çanakkale [la bataille des Dardanelles, 1915], à Dulumpınar [guerre de Libération, août 1922], et le 15 juillet [lors de la tentative de coup d'Etat de 2016] : le monde entier a sursauté, la nation turque a montré à quel point elle est chez elle, elle a étonné le monde entier. Ces terres [d'Anatolie], nous ne devons jamais les oublier ! Ceux qui n'apprennent pas l'histoire seront obligés de la revivre ! Nous devons honorer la victoire de Malazgirt qui a été négligée malheureusement, car certains aimeraient qu'on retourne aux anciens jours ! Mais aujourd’hui la nation est à Malazgirt ! C'est pourquoi désormais chaque année nous célébrerons cette victoire, et notre avenir sera jalonné par ces dates : 2023 [centenaire de la république], 2053 [6^e centenaire de la prise de Constantinople], 2071 [millénaire de Malazgirt].

« Nous sommes nombreux, mais nous formons une seule nation, nous n'avons qu'un seul drapeau, une seule patrie, un seul Etat. Nous sommes 80 millions, tous ensemble, Turcs, Kurdes, Lazes, ; Tcherkesses, Géorgiens, Roms, Albanais.

« Un : un seule nation ! On ne nous divisera pas, nous sommes unis comme la chair et les os, comme l'ongle et le doigt.

« Deux : un seul drapeau. Sa couleur est celle du sang des martyrs. Le croissant symbolise l'indépendance, l'étoile représente nos martyrs. Jamais un autre drapeau ne flottera à son côté !

« Trois : Une seule patrie, une seule patrie de 700 000 km2. Personne ne pourra la diviser. Nous avons fait de Cudi, de Küpeli, de Bestler un tombeau pour les terroristes, et nous continuerons jusqu'à la fin du terrorisme.

« Quatre : Les Turcs ont fondé seize Etats et nous sommes l'un d'eux ; il n'y a que l'Etat républicain de Turquie et rien d'autre. Nos ministres sont là. L'Etat et le peuple ne font qu'un. Je veux que vous répétiez après moi : Nous sommes unis (bir), nous sommes grands (iri), nous sommes frères (kardes), nous sommes turcs ! »

[Erdogan délivre ensuite une leçon d'histoire sur la course aux victoires des Turcs : Malazgirt grâce à quoi les Croisés ont été arrêtés, la prise de Constantinople depuis laquelle on entend l'appel à la prière à Istanbul et qui a ouvert un nouvel âge pour le monde entier, la bataille des Dardanelles qui fut un nouveau redressement (sahlandırma), et enfin le 15-Juillet, où une nouvelle tentative d'occupation a échoué].

« Ce 15 juillet, les ennemis étaient les mêmes que ceux qu'ont combattus Alparslan et Kılıçarslan, le sultan Fatih, le sultan Abdülhamit, et le Gazi Mustafa Kemal [Atatürk]. Eh bien nous sommes les petits-fils de tels ancêtres ! »

« Une fois encore [le 15-Juillet], nous nous sommes débarrassés d'occupants, grâce à notre fidélité au drapeau, à l'ezan [l'appel à la prière] et à notre destinée. Ce jour, nous avons combattu aux côtés du sultan Alparslan, du sultan Kılıçarslan. La pièce était la même mais les figurants étaient nouveaux : FETÖ [l'organisation censée avoir préparé le coup d'Etat de 2016], PKK, PYD [l'organisation kurde syrienne], Daech, tous des pions. Car c'est à nouveau une coalition mondiale qui s'attaque à nous [comme entre 1912 et 1923 contre la coalition dite Yedi Düvvel]. Nous sommes capables de lutter contre toutes les coalitions. Nous allons continuer le combat commencé par le sultan Alparslan à Malazgirt. Le 15-Juillet, il a suffit de dire au peuple : 'Marchez, et la nation vous suivra !', et c'est ce qui est arrivé ! Ils ont échoué, ils échoueront toujours. Chaque fois la Turquie se lèvera. Le Turc ne s'incline que devant Dieu, il ne demande de l'aide qu'à Dieu. Grâce à Dieu et à la nation, aucune attaque, aucun piège ne peut réussir ».

Jusque là, Erdogan parle librement, sans notes ; négligeant le pupitre où se trouve probablement son texte, il déambule sur l'estrade avec son micro. Il n'a pas besoin de s'appuyer sur un texte, tant ses propos sont formatés. Il semble improviser. Mais après 25 minutes, le président accuse la fatigue ; du devant de la scène, il retourne au pupitre et la caméra se détourne. Sa voix se brise un peu, son propos devient hésitant. Alors que la caméra fait un travelling sur l'assemblée, on l'entend qui réclame : « De l'eau ! de l'eau ! ». Il se produit un flottement. Lorsque la caméra le cadre à nouveau, on le voit chercher quelque chose au pupitre, il feuillette probablement son texte et cherche un appui.

Lorsqu'il se ressaisit, son discours devient celui d'un candidat à la mairie de Malazgirt : il évoque ce lieu qui « voici peu, ressemblait à un village » et qui est devenu une ville de 50 000 habitants, pourvu de tous les services, tous les réseaux, une ville moderne. Ne sachant plus trop que dire, il se laisse aller alors et se dévoile complètement.

Le président quitte à nouveau le pupitre, s'approche du public, lève le bras droit, ouvre quatre doigts de sa main en laissant le pouce replié, et crie : « Rabia ! Rabia ! ». C'est le signe et le slogan des Frères musulmans d'Egypte, devenus un peu partout signe de l'islam politique. Il demande à la foule de faire le signe et de crier « Rabia ! ». Puis, se souvenant qu'il est président de la république, et ne sachant comment terminer, il lance une nouvelle fois, en demandant à la foule de répéter : « Une seule nation ! Un seul drapeau ! Une seule patrie ! Un seul Etat ! »

Le meeting est terminé.