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Susam-Sokak

Turquie - Les racines du présent - Le blog d'Etienne Copeaux


Kapıköy (Ardanuç), 1985

Publié par Etienne Copeaux sur 19 Avril 2014, 09:41am

Catégories : #Sous la Turquie - l'Anatolie

Au hasard de mes clics sur Internet, je découvre le site yerelnet.org.tr/koyler, « portail des administrations locales », sur lequel, à la rubrique « Köyler », vous pouvez trouver les renseignements statistiques sur chaque village de Turquie, avec des chiffres relativement récents (2012).

J'ai immédiatement cherché un des villages turcs qui nous sont le plus chers, Kapıköy, département d'Artvin, ilçe d'Ardanuç. Nous y avons séjourné deux fois, en 1985 et 1986. C'était toute une aventure. Dans le bus qui nous menait de Samsun à Artvin, nous avions sympathisé avec Ismail, un jeune homme habitant à Berlin qui rentrait au village pour l'été. Nous ne comprenions encore pas très bien le turc, et notre niveau d'allemand n'était pas brillant. Mais Ismail voulait partager avec nous la vie au village. Peut-être comptait-il ainsi tromper un peu l'ennui de sa résidence d'été. Nous lui avons promis de le rejoindre dans son village de Kapıköy. Nous avons passé la nuit à Artvin, qui était à l'époque un gros village étalé sur les pentes, face aux montagnes pontiques et à leurs forêts. Une nature où nous nous sentions bien. Ensuite, un autre bus nous a déposé à Ardanuç où nous avons encore passé la nuit, après une soirée à discuter avec les villageois bien étonnés de voir débarquer des touristes qui connaissaient l'existence de Kapıköy. L'un de nos interlocuteurs nous a montré sa boutique, dont l'enseigne était Balkan. « Vous savez pourquoi ce nom ? », nous a-t-il demandé. Oui, évidemment, nous avons deviné : la population du lieu avait été « déplacée » en 1923, dans cet endroit perdu proche de la frontière soviétique,  à l'époque, une région où des panneaux expliquaient que faire en cas d'explosion nucléaire... Mais Ardanuç nous a paru être un petit paradis de torrents, de ruisselets et de jardins. Pour se rendre à Kapıköy, il fallait prendre, le lendemain, un minibus. Le trajet a duré plusieurs heures, grimpant le long d'un chemin de terre qui nous a semblé si dangereux que nous avons d'emblée décidé de revenir à pied. Quittant très vite les pentes, le chemin rejoignait les prairies d'altitude, les yayla, où se trouvait le village, à 1700 mètres d'altitude.

Comme dans toute cette région, un village de maisons en bois, peuplé exclusivement d'éleveurs mais qui cultivaient aussi des céréales, pour leur nourriture et celle des chevaux. Pas de voitures, seulement quelques tracteurs au village, relié à la « ville » d'Ardanuç par ce minibus brinquebalant.

C'était très animé. Le site yerelnet indique pour cette époque près de 300 habitants. Les maisons étaient nombreuses, toutes étaient habitées. La vie y était très dure, il fallait chauffer, au bois, toute l'année. L'été se passait dans une estive, à une dizaine de km et à 2400 m d'altitude, où l'on se rendait avec tout le nécessaire pour y passer un ou deux mois, transporté en chars à bœufs. Les vieux étaient dans les charrettes, les jeunes, hommes et femmes, accompagnaient à cheval. Tandis que les troupeaux se repaissaient, on y vivait de pain de maïs cuit chaque jour, accompagné de l'abondante crème tirée également chaque jour de la traite.

Le village grouillait de jeunes, des bergers, des éleveurs, qui aimaient se lancer des défis avec leurs jolis chevaux, ou se baigner au lac tout proche. Mais ils n'étaient pas heureux : « Je préférerais être dans une ville, même si je ne devais jamais manger de viande ». Beaucoup d'entre eux avaient en effet rejoint les villes de l'ouest, Bursa surtout, et Berlin comme notre Ismail. Leurs enfants venaient avec eux, pour leurs vacances, au village.

Comme prévu, nous ne sommes pas redescendus par le minibus vertigineux. Ismail nous a proposé de rejoindre, à cheval, le col de Yalnızçam, à 15 ou 20 km, où se tenait une grande foire aux bestiaux. Cela nous a valu également de belles frousses, sur les chevaux montés à cru que nos amis s'amusaient à exciter. Puis nous avons rejoint Ardahan.

En 1986, nous sommes revenus pour le mariage du cousin d'Ismail, Sinan, qui était berger. J'y reviendrai plus longuement, peut-être ailleurs que dans ce blog... Cette fois, nous en sommes repartis à pied, à la grande honte d'Ismail, et nous sommes descendus sur une dizaine de kilomètres jusqu'à la route de Savsat.

La situation du village de Kapıköy, aujourd'hui, m'a attristé. Les jeunes sont partis massivement pour la ville. D'après yerelnet, il ne compte plus que que 42 habitants en 2012, répartis en trente maisons. Le village est sans aucun aménagement, et d’ailleurs aucun touriste n'y a jamais été recensé, si ce n'est les émigrés qui reviennent voir le pays, comme en témoignent quelques photos placées sur Google Earth. La page de statistiques signale une voiture et trois tracteurs, et seulement deux personnes, d'après le site, exercent une profession, l'imam et un berger. Le village est menacé par l'érosion.

Les photos qui illustrent la page du village montrent une école fermée et assez délabrée. Les maisons sont toutes recouvertes d'un toit de tôles, ainsi protégées des intempéries et de l'écroulement : résidences d'été pour les émigrés ? Sur l'une des photos, une petite foule d'hommes, tous âgés, est rassemblée devant la petite mosquée, sous un platane dans une lumière estivale.

Voici quelques aspects du village en 1985...

Vue du centre du village. Photo E.C. 1985

Vue du centre du village. Photo E.C. 1985

L'aire de battage et vannage des céréales. Photo E.C. 1985

L'aire de battage et vannage des céréales. Photo E.C. 1985

L'abreuvoir. Photo E.C. 1986

L'abreuvoir. Photo E.C. 1986

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