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Susam-Sokak

Turquie - Les racines du présent - Le blog d'Etienne Copeaux


Le mouvement "prométhéen" (1993)

LE MOUVEMENT “PROMETHEEN”

E. COPEAUX

 

Cet article est paru en 1993 sous la référence suivante, à mentionner obligatoirement en cas de citation :

Etienne COPEAUX, « Le mouvement prométhéen », Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien (CEMOTI), n° 16, 1993, pp. 9-45.

 

version corrigée d’après les troisièmes épreuves de CEMOTI

 

INTRODUCTION

 

Le prométhéismeidoit être d’abord défini comme un mouvement de réfugiés d’URSS, né de l’échec des républiques indépendantes surgies dans l’empire russe lors de la révolution de 1917. Les capitales d’Europe occidentale en reçurent alors les anciens dirigeants, qui, après avoir tenté une opposition contre l’armée rouge, cherchèrent à reconstituer un front anti-bolchevique dans l’exilii.

 

Le faible nombre d’études concernant Prométhée ne peut manquer d’étonner, car le mouvement d’exilés qui s’est choisi ce nom mythique a rassemblé, dans diverses capitales occidentales, des personnages remarquables, dont certains sont tombés dans l’oubli mais dont d’autres ont, par la suite, connu une grande notoriété en Turquie. C’est un mouvement qui a connu une longévité assez rare, a publié des revues intéressantes et de qualité, constituant autant de sources pour l’histoire de l’opposition au bolchévisme.

Une étude s’impose d’autant plus que les peuples de l’ex-URSS redécouvrent leur histoire, ancienne et récente. Nul doute qu’un intérêt va naître ou renaître pour des personnages qui ont tenté, pendant plus de trente ans, de maintenir vivant, dans l’exil, l’esprit natio­nal. Mais le mouvement prométhéen concerne l’histoire des mouvements d’opposition au bolchevisme, l’histoire de la guerre froide et l’histoire récente de la Turquie, puisqu’il existe une osmose entre les nationalistes turcs et les animateurs turcophones du mouvement. Enfin, par la constitution et l’utilisation de réseaux s’étendant sur tout le pourtour de l’URSS, de Helsinki à Tôkyô en passant par Varsovie, Berlin, Paris, Istanbul, Shanghaï, Mukdeniii, le mouvement prométhéen est un type exem­plaire d’organisation d’exilés. Qu’ils aient étés ou non manipulés par diverses puissances, de tels destins méritent une étude approfondie.

 

Les réfugiés politiques d’URSS étaient nombreux à Paris; le plus connu, Kérenski, réussit à s’établir durablement et à fonder un groupe d’opposition anti-bolchevique, centré autour de son organe Dni. Mais la plupart des réfugiés non russes l’accusaient de maintenir l’esprit colonialiste russe, et de refuser d’envisager l’indépendance des républiques du Caucase ou du Turkestan.

Après diverses initiatives prises à Istanbul ou dans des villes euro­péennes, les dirigeants des réfugiés non russes finirent par obtenir l’appui de la Pologne de Pilsudski. Celui-ci leur leur permit de fonder le mouvement prométhéen, qui fit paraître de nombreuses publications dans des langues variées; son organe était Prométhée, mensuel qui parut en français à Paris de 1926 à 1938 sans discontinuité, cas d’une longévité peu commune pour une revue de réfugiés politiques.

Il s’agit d’une revue de bonne tenue; sa présentation est immuable tout au long de la période: articles de fond généralement intéressants et soignés, chroniques fournissant des renseignements solides et détaillés (en particulier sur la répression et les mouvements de résistance en URSS), revue de presse et nouvelles des autres associations du mouvement promé­théen. Prométhée, dont des collections complètes sont aisément dispo­nibles en France, est la source principale de l’étude qui suit.

 

Problèmes d’historiographie

Jusqu'à présent, l’étude du mouvement prométhéen a peu attiré l’attention des chercheurs: quelques allusions dans des ouvrages généraux, rares articles dans des revues spécialisées. Les renseignements sur les principaux acteurs de cette aventure sont très dispersés.

L’étude qui suit est un résultat provisoire s’appuyant sur un dépouil­lement complet des articles, un fichier des auteurs et surtout un fichier des notions. Mais, si certaines revues du mouvement sont assez facilement acces­sibles, nous n’avons pas encore consulté d’archives concernant cette orga­nisation, à part celles de Mustafa Tchokayiv. Une recherche ultérieure permettra de mieux connaître les diverses motivations des partici­pants, et leurs relations avec leur environnement socio-politiquev

Prométhée comptait parmi ses rédacteurs des personnages de premier plan: anciens chefs d’Etat (M.E. Resulzadevi,N. Jordaniavii), anciens ministres (A. Choulguineviii). Or, la plupart des ouvrages ne mentionnent ni ces personnages, ni le mouvement prométhéenixou n’y font que de courtes allusions. L’origine de cette lacune mériterait, elle aussi, une réflexion spécifique.

 

I - L’histoire du mouvement

 

L’histoire du mou­vement prométhéen pro­cède de la rencontre des responsables des diffé­rentes républiques in­dé­pendantes nées au cours des années 1917-1918. Faire un état de ces contacts personnels n’est pas facile: les sources sont très dispersées, beaucoup de récits sont imprécis et divergents, car cha­cune des compo­santes natio­nales du mouvement a tendance à se parer du rôle princi­pal.

Les divers congrès des peuples musulmans de Russie, qui se sont réunis à partir de 1905-1906 à Nizhni-Novgorod, Moscou, Saint-Pétersbourg, Baku, Tashkent... constituent la préhistoire du mouvement prométhéen. On y débat­tait des grands thèmes du djadidismex, de l’autonomie des peuples musulmans, de leur union éven­tuelle au sein d’une Fédération. Certaines figures mar­quantes du nationalisme turc, telles Zeki Velidov (Togan)xi, ou du mouvement promé­théen (Ayaz Ishakixii) s’y sont illustrés. Les débats avaient fini par se focaliser autour de l’opposition entre “Türkçüler”(turquistes, partisans d’une union entre les Turcs comme Ayaz Ishaki, Sadri Maksudixiii) et “Toprakçılar”(territorialistes, partisans d’entités politiques basées sur le territoire national comme Togan). Ces congrès musulmans ont, à temps, dégagé les élites nécessaires aux mouvements d’indépendance, de sorte qu’en 1917 les nouvelles républiques musulmanes du Turkestan, de Tatarie, de Bashkirie, d’Azerbaïdjan ont à leur tête des hommes poli­tiques ayant une expé­rience de la vie parlemen­taire (beaucoup ont étés députés à la Duma). Le même phénomène a lieu dans les parties non musulmanes de l’empire, en Ukraine, en Géorgie par exemple. Pour ce qui concerne le monde turco­phone, on voit apparaître une prédominance des intellectuels de Kazan (Ishaki, Maksudi…) et de ceux de Baku, ces derniers étant d’ailleurs partiellement à l’origine du nationalisme turc.

Par la suite, les “Prométhéens” reconnaî­tront les erreurs fonda­men­tales qui ont été commises à cette époque: sous-estimation de la force bolchevique, absence de solidarité entre nations musulmanes et non musulmanes; ainsi, tandis que l’une de ces répu­bliques subissait à la fois les as­sauts de l’Armée rouge et des Russes blancs, les autres ne bougeaient pas; la soumission de la République de Kokand, de l’Ukraine, des ré­publiques du Caucase ne se sont pas faites en même temps, mais aucun de ces nou­veaux Etats n’est intervenu pour tenter d’en protéger un autre.

C’est pourquoi l’idée fondamentale du mouve­ment prométhéen est la solidaritéentre ses com­posantes natio­nales, dirigée non seule­ment contre l’ennemi et oppresseur bolchevique, mais contre l’ennemi russe en gé­néral, qu’il soit rouge ou blanc: c’est grâce à l’existence de cet en­nemi commun que le mou­vement pourra maintenir la cohésion entre des na­tionalités si disparates. il s’agit bien d’un frontprométhéen, qui se définit avant tout par l’opposition aux Russesxiv.

L’Ukraine, sans nul doute, joue un rôle de premier plan dans la naissance du mouve­ment: elle est l’une des ré­publiques les plus préco­cement indépendantes, et surtout la plus puis­sante militairement et démogra­phiquement. Selon les sources ukrainiennes, le mouvement serait né dans l’entourage du diri­geant Simon Petlura, et R. Smal-Stockyxvse présente comme l’un des principaux négociateurs entre les Ukrainiens et les re­présen­tants des autres peuples soumis.

Dès février 1918, l’Ukraine indépendante n’existe plus, mais les Ukrainiens entretiennent une mission en Géorgie, et leur rôle est confirmé par Mustafa Tchokay, ex-chef du gouvernement de Kokand, qui parvient à Tiflis le 1er mai 1919. Selon Tchokay, l’initiative des premiers con­tacts lui re­vient: “Mes collègues de la délégation turkesta­nienne m’ont confié la mission de créer un centre de propa­gande commun à tous les adversaires des oppres­seurs blancs et rouges. Ma première visite fut pour le chef de la mission ukrai­nienne.xviTchokay raconte que le programme, élaboré en commun avec les Ukrainiens, fut conçu de façon à attirer les sympa­thies des démocraties oc­cidentales. D’ailleurs, en février 1919, par l’intermédiaire des repré­sentants des Puissances à Baku, un premier appel fut lancé au Congrès de Versaillesxvii. Un organe commun, en russe, vit le jour à Tiflis en novembre 1919: Na Rubëzhe (Sur la Frontière), dont les fonds provenaient du Centre national du Turkestan (Tchokay ne précise pas d’où ce Centre tirait ces res­sources), et, en majo­rité, de la Mission Diplomatique Ukrainienne. Cette revue, par le front commun qu’elle con­cré­tise, par son contenu (articles de fond, chro­nique sur les luttes des peuples non russes), est déjà une préfi­guration de Prométhée. Si Tchokay dit vrai, il fut l’un des premiers à envi­sager une union entre turcophones, Slaves et Géorgiens. Dès 1919, nous avons en effet une alliance à trois, car, selon Tchokay lui-même, tous ces ef­forts ont été grandement facilités par le gouverne­ment géorgien de l’époque.

La disparition de la république indépendante d’Ukraine (5 février 1918), puis celle de la Géorgie (25 février 1921), furent des coups très durs pour ce mouvement des nationalités. La Géorgie indépen­dante jouait en effet un rôle d’accueil des réfugiés, et, après 1921, une réorganisation des réseaux s’opère vers Istanbul et l’Europe occidentalexviii.

 

Itinéraires d’exil: Istanbul

Après une période d’extrême dispersion, beaucoup de dirigeants vont se réfugier à Istanbul et y rester, comme le Tatar Abdullah Battal-Taymasxixqui obtient l’appui de l’historien Fuat Köprülü, les Azéris M. Mirza-Balaxxet Ahmed Caferogluxxi- qui dirigera à partir de 1932 l’Azerbaycan Yurt Bilgisi (Informations sur la patrie azerbaïdjanaise) avec Köprülü et Zeki Velidi Togan - , le Bashkir Abdülkadir Inanxxii, l’Ukrainien Murskiy.

Mehmet Emin Resulzade est l’hôte le plus éminent d’Istanbul: chef du parti Müsavat, ex-chef de l’Etat d’Azerbaïdjan, il séjourne sur le Bosphore par intermittence, car le gouvernement sovié­tique, par ses pressions, obtient parfois son expulsion. Resulzade a déjà vécu à Istanbul en 1911 et est un familier de ses compatriotes Ahmet Agaoglu et Hüseyinzade Alixxiii. Il a aussi des contacts très fructueux avec le Géorgien Datiko Charachidzé, avec qui il travaille à Yeni Kavkasya. Il fonde ensuite, toujours à Istanbul, Azeri Türk (dont le premier numéro parait le 1 février 1928xxiv) et Millî Yol (la Voie Nationale) (1929). Il est le leader incontesté des Azéris d’Istanbul. Il collabore encore, avec Caferoglu, Togan, Köprülü, Inan, etc, à l’Azerbaycan Yurt Bilgisi avant de s’établir à Varsovie (1934) où il fonde Istiklâl (L’Indépendance), puisKurtulus (Libération).

Resulzade n’est pas le seul animateur important du mouvement des émigrés à Istanbul. En 1927, Z.V. Togan et Abdülkadir Inan, dont les destins sont liés depuis 1914, créent YeniTürkistan (Le Nouveau Turkestan) qui manifeste un intérêt permanent pour tous les peuples soumis par l’URSS, y compris les non musulmans. Il fait d’ailleurs connaître à ses lecteurs les autres revues du mouvement, comme le fait Prométhée à Paris, comme le fera Istiklâl à Berlin. Dans le n°9-10 (juin 1929), un article relate sur deux pages la commémoration de l’anniversaire de l’indépendance de l’Azerbaïdjan à Istanbul par Odlu Yurt(Le Foyer). Inversement Odlu Yurt, tenu par des Azéris, rend constamment hommage à la lutte des Turkestanais: il n’y a apparemment aucun sectarisme entre Turkestanais et Azéris. Les liens avec les émigrés de Paris sont évidents puisque, dès le premier numéro, la revue publie un article de M. Tchokay (“La question du Turkestan”).

Ahmed Caferoglu, qui a émigré directement de Baku à Istanbul, y accomplit une carrière universitaire depuis 1925. Turcologue éminent, il a de nombreux contacts scientifiques en Allemagne (il a soutenu une thèse de doctorat à Breslau en 1929), et lorsqu’il fait paraître l’Azerbaycan Yurt Bilgisi, il est assistant à la Faculté des Lettres d'Istanbul. Le comité de rédaction comprend le maître de la turcologie de l’époque, Fuat Köprülü, et les inévitables Togan et Inan. Parmi les rédac­teurs, on relève des Tatars de Kazan (Battal-Taymas, Ishaki), des Criméens (Cafer Seydahmet, Abdullahoglu Hasan)… et des Azéris comme Resulzade. Cet aperçu des auteurs montre que la revue ne s’intéresse pas seulement à l’Azerbaïdjan; ainsi, le n°16 (avril 1933) est presque entièrement consacré à l’intellectuel criméen Gasprinski; et un article de ce même numéro sur le “deuil (matem)” de l’Azerbaïdjan (c’est-à-dire la commémoration de l’anniversaire de la perte de l’indépendance, le 27 avril 1920) intitulé “Türkün kara bir gün” (Jour noir pour les turcs) est signé non par un Azéri mais par un Turkestanais. autant de signes de l’existence d’une conscience turque et d’une solidarité inter-turque proclamée.

Il y avait, en plus, à Istanbul, au moins une société qui cherchait à organiser ces publications et la solidarité inter-turque: la Turan Nesrimaarif ve Yardim Cemiyeti (Association de publication et d’entraide touranienne), présidée par Muharrem Feyzi [Togay], journaliste à qui l’on doit une biographie de Yusuf Akçuraxxv. Animateur de cette société, il n’était probablement pas dépourvu d’arrière-pensées panturquistes (il est l’auteur d’un ouvrage intitulé “Le grand monde turc”), et c’est son association qui organisait à Istanbul le 10e anniversaire de la République turque, avec des Tatars de la Volga, des Criméens, Turkestanais, Azéris, Caucasiens du Nordxxvi.

 

La présence durable, souvent définitive, de ces émigrés turcophones à Istanbul ne peut manquer d’avoir une influence, par l’intermédiaire de leurs revues ou d’hommes comme Köprülü, sur la culture historique et politique de la Turquie. Certains de ces personnages on su, grâce à leur haut niveau culturel, à se hisser à des fonctions importantes. N’oublions pas que nous sommes à une période de construction de la culture nationale turque: les “réformes de l’histoire” se déroulent en 1931-1932; elles sont carac­térisées par l’introduction, dans les programmes scolaires turcs, de l’étude du passé asiatique des Turcs, et Yusuf Akçura et Sadri Maksudi [Arsal] sont parmi les auteurs des nouveaux manuels scolaires. Parmi les membres de la Société turque de recherches historiques, créée par les kémalistes, on trouve Akçura, Arsal, Agaoglu. Les mêmes, avec Caferoglu, Togan et bien sûr Köprülü, participent au premier Congrès d’histoire turque en juillet 1932, présidé d’ailleurs par Yusuf Akçura. ainsi, les émigrés de Russie ont continué de marquer l’historiographie turque de leur empreinte, au cours d’une période cruciale de construction d’une nouvelle identité culturelle.

 

Les liens très forts avec la Turquie, y compris avec la Turquie offi­cielle qu’incarnent Köprülü, puis Togan, sont une des raisons de l’allégeance toujours proclamée par Resulzade à l’égard de Mustafa Kemal. Dans Prométhéeen particulier, il ne cesse de défendre le régime de la Turquie. Les émigrés de Russie/URSS ne s’en prennent jamais ouvertement, dans leurs revues, à la politique du gouvernement turc, même lorsqu’elle leur est défavorable. Et les rédacteurs de l’Azerbaycan Yurt Bilgisi, ou de l’Istiklâlde Berlin, sont curieux et intéressés par ce qui se passe en Turquie dans les domaines historiographique et linguistiquexxvii

 

Itinéraires d’exil: Paris, Berlin, Varsovie.

Un autre groupe de réfugiés se rend directement en Europe occiden­tale. Parmi eux, les Tatar Sadri Maksudi [Arsal], et A. Ishaki, et l’azéri Hilal Münchi. Ayaz Ishaki fut, dès 1925, un des leaders des réfugiés de Berlin (création de Millî Yol, de l’Association tatare, du Comité pour l’indépendance de l’Idil-Ural, 1928), et sans doute l’un des principaux promoteurs du mouvement prométhéen. Hilal Münchi préside la communauté azérie à Berlin, publie beaucoup et collabore aux publications müsavatistes de Resulzade et de Mirza-Bala qui l’ont rejoint.

A Paris, enfin, on retrouve d’éminents Azéris venus là pour la confé­rence de la Paix de 1919 (Ali Mardan Toptchibachi, Djeyhoun Hadjibeylixxviii) mais aussi Mustafa Tchokay, qui vont pouvoir faire connaissance avec des non turcs: Petlura, Charachidzé, et les Russes blancs de Paris comme Kérensky et Milioukov.

 

Par-dessus tout, plane la personnalité hors du commun de Zeki Velidov. Si l’on en croit ses propres mémoires, le futur Togan, s’il n’a pas participé directement à l’entreprise prométhéenne, a joué un rôle détermi­nant dans sa naissance. Après bien des aventures, l’ex-président bashkir parvient à Paris en décembre 1923, où il galvanise la fierté nationale des Turcs-musulmans. Il y rencontre Tchokay, Toptchibachi, et Maksudi qui lui fait prendre conscience de l’importante base de repli que peut constituer la France: “Pensez que ce pays [la France] est maintenant le plus grand centre de combat turc-musulman. Vous devez penser à rencontrer des Ukrainiens, des Géorgiens.”

C’est à Berlin, en juin 1924, que Togan rencontre un officiel polo­nais, Stempovsky, qui lui parle de l’idée de lancer un mouvement des “allogènes” (inorodets) d’URSS. Togan noue à Berlin des liens avec des Ukrainiens et Caucasiens, et il est prévu avec Stempovsky qu’une revue paraîtra en France sous le nom de Prometheus.

Togan cependant regagne la Turquie et laisse cette tâche à d’autres. Le processus étant lancé, c’est le retour au pouvoir de Pilsudski qui va l’accélérer. Mais, comme nous l’avons vu, Togan jouera en Turquie, avec Fuat Köprülü, un rôle d’accueil et d’encouragement pour les réfugiés.

 

La Pologne au premier plan

Si, en 1926, le mouvement perd un leader en la personne de l’ex-président ukrai­nien Simon Petlura, assassiné à Parisxxix, le retour au pou­voir, en Pologne, du maréchal Pilsudski, vain­queur de l’Armée rouge, et champion du combat anti-bolchevique, est un événement déterminant Il va se faire le protecteur de tous les adversaires de l’URSS.

Le soutien de la Pologne à l'Ukraine était une simple suite de l’alliance de 1921 entre Petlura et Pilsudski; les contacts anciens existant avec monde turco-tatarxxxfacilitèrent la politique polonaise. C’est à la fin de la guerre russo-polonaise de 1921, au cours de laquelle la Pologne avait enrôlé des volontaires musulmans de Russie, que Pilsudski et ses parti­sans réflé­chirent à une action commune entre les peuples de l'Europe de l’Est et les peuples dominés par la Russie bolchevique. Dans la perspec­tive d’une nouvelle guerre, des groupes hostiles à l’URSS reçurent des subsides de la Pologne, qui encouragea la création de réseaux et enrôla dans son armée des volontaires allogènes de l’URSS.

C’est donc dans le cadre de la “première guerre froide” que le gouvernement polonais fit accélérer le processus de la naissance du mouvement prométhéen. En novembre 1926 parait le premier numéro de Prométhée, qui n’est que le titre le plus célèbre et le plus solide de toute une série comprenant aussiTrisub-Le Trident, Sakertvelo(Paris), Istiklalpuis Kurtulus de Resulzade, Yeni Millî Yol, Yach Türkestan (Berlin-Paris), Volnoye Kazatchestvo (Prague),Emel (Constantza), Severni Kavkas - Simali Kavkas (Varsovie).

 

Prométhéejusque 1934-1935

Les années 1926-1938 sont rythmées par les grandes étapes de l’histoire diplomatique de l’entre-deux-guerres qui connait un tournant très important en 1934.

Jusqu’à cette date, l’optimisme règne: les promé­théens sont persuadés que le régime soviétique est éphémère. Ils croient voir dans chaque soulè­vement, dans chaque grève, dans chaque difficulté économique, les signes avant-coureurs de l’écroulement du bolchévisme. Ils ont aussi une confiance immodérée dans les gouvernements occiden­taux, dans la Société des Nations (SDN) et dans les principes de Wilson.xxxiCette attente de l’écroulement de l’URSS n’est pas passive: l’avenir est préparé, surtout en ce qui concerne les républiques du Caucase. Les repré­sentants caucasiens considèrent que leur histoire commune, la parenté des milieux de vie, l’inextricable mélange ethnique, et la nécessité d’être plus puissants face au grand voisin russe, justifient la création d’une Confédération caucasienne à laquelle certains vont travailler dès 1924 avec ferveur et sérieux. Cette Confédération voit le jour, sur le papier, en 1934.

Pendant la première période, une grande partie du travail poli­tique se fait sous forme de lobbyingen direction des gouvernements euro­péens et surtout de la SDN. A Genève, le but est simple d’obtenir la reconnaissance des gouvernements en exil, et d’empêcher l’entrée de l’URSS dans la commu­nauté des nations. L’échec est total puisque l’URSS est admise à la SDN le 18 septembre 1934.

 

Le tournant de 1934-1935

Pour les Prométhéens, cela signifie que l’URSS est désormais considérée comme un pays normal; que les nations occidentales font fi des annexions forcées de républiques indépendantes, souvent reconnues de jure par des grandes puissances, et même par Moscou elle-même; qu’elles font fi aussi de la répression, des atrocités dont Prométhéerend compte régulièrement et avec précision (la grande famine d’Ukraine, délibérément provoquée, n’a pas attiré l’attention de la SD). L’intense travail diplomatique des années précédentes n’a servi à rien, et de ce moment, date la fin de la période optimiste: on cesse désormais de croire à une chute prochaine du régime soviétique.

Un autre événement préjudiciable au mouvement prométhéen se produit en 1935: le Komintern adopte la politique de front populaire, motivée par l’arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne. Désormais, les communistes ont pour consigne de faire alliance avec les partis socialistes, jadis considérés comme l’ennemi principal. Cette poli­tique va rendre très difficile la position des “Prométhéens” (qui étaient souvent des mencheviques ou des SR): les communistes, sans participer au gouvernement, sont en position de force en France. Partout, on considère que le danger principal n’est plus le communisme, mais le nazisme et le fascisme. L’anticommunisme, fréquent auparavant dans les milieux socialistes, est maintenant l’apanage de l’extrême-droite.

Dans leur dénonciation précise et constante des crimes staliniens, les Prométhéens sont donc complètement isolés. A partir de 1934 apparaît dans les colonnes de Prométhéeun certain Boisjolin, président d’une Ligue anticommuniste, et qui se révèle peu à peu admirateur de Hitler et Gœbbels. C’est aussi en 1934 que la revue de presse de Prométhéefait une large place aux citations d’organes de l’extrême-droite raciste française, tels que Je Suis Partout, puis Gringoire. A partir de 1936, une discrète admiration pour Jacques Doriot, chef de file des fascistes français, transparait dans certains articles. Les Prométhéens semblent très découragés; au cours de ces années, était-il encore possible de rester anticommuniste sans être promptement “récupéré” par l’extrême-droite? Prométhéesemble en passe de devenir un organe de la droite fasciste.

 

La Revue de Prométhée: un sursaut antinazi

Faute d’archives, nous ne savons rien pour l’instant des causes du changement de format, de titre, et surtout de directeur en 1938: le Géorgien Georges Gvazawa est remplacé par l’Ukrainien Alexandre Choulguine; la périodicité passe à 2 ou 3 numéros par an, bien plus épais. Et les événements se précipitent: la conférence de Munich, les annexions de Hitler, et surtout, en août 1939, le pacte germano-soviétique, agissent vigoureusement sur les Prométhéens. Le pacte germano-soviétique fait basculer tous les jugements à l’égard de l’URSS; si Staline déçoit terriblement la gauche européenne, c’est au contraire Hitler qui déçoit les “Prométhéens”, qui le considèrent dès lors comme un traître. La situation est claire: tout antisoviétique devient obligatoirement antinazi. La Revue de Prométhéeva donc s’engager sans ambiguïté du côté de la Pologne, de la France et de l’Angleterre en septembre 1939. Mustafa Tchokay, A. Choulguine, Mir Yacoub, Noé Jordania appellent tous leurs compatriotes à s’unir face à la coalition germano-soviétique. L’éditorial du dernier numéro (8-9 avril 1940), imprégné de l’exemple de l’héroïque résistance finlandaise, invite les lecteurs à ne pas choisir “entre la peste et le choléra”. Les peuples soumis ont connu la liberté en 1917. “Cela ne s’oublie pas! (…) Aider ces peuples, “aider” l’Union soviétique à dispa­raître, à se disloquer en ses parties composantes, naturelles, nationales, c’est vaincre le “choléra”, c’est préparer la fin de la “peste”.xxxii

 

 

II - La vie de Prométhée

 

Le mouvement s’incarne d’abord dans sa revue. Sur douze années de parution, on compte plusieurs centaines d’auteurs, dont beaucoup n’ont publié qu’une ou deux fois. Parmi eux, une quinzaine peuvent être considérés comme des collabo­rateurs réguliers, ayant publié au moins une dizaine d’articles. Les plus prolixes sont M.E. Resulzade, Mustafa Tchokay, Georges Gvazawa (le direc­teur géorgien de la revue) et le juriste Nord-Caucasien Mir Yacoub-Mehtiev. Ce sont les piliers de la revue; Resulzade et Tchokay ne se limi­tent pas à cette activité pourtant déjà lourde: le premier dirige des journaux caucasiens à Istanbul et Berlin, le second le Yafl Türkistan, qui connaît aussi une belle longévité et le mobilise beaucoup comme le montrent ses archivesxxxiii.

Toutes les nations prométhéennes sont représentées parmi les auteurs importants: on y trouve encore les Ukrainiens Alexandre Choulguine (ancien ministre) et M. Danko; des Caucasiens du nord comme Chaffi Rostan; l’ancien président géorgien Noé Jordania, et son délégué général à Genève Khariton Chavichvily. L’inventaire des auteurs est pourtant diffi­cile à établir: beaucoup se cachent sous des initiales ou des pseudonymes.

Tous, ou presque, prennent leur tâche au sérieux. Les articles sont le plus souvent intéressants et bien écrits. On voudrait en savoir plus aussi sur l’organisation qui permettait d’obtenir, de collecter, de traiter l’extraordinaire masse d’informations qui parvenaient clandestinement d’URSS. Toutes les revues du mouvement se retransmettaient évidemment beaucoup de nouvelles, mais on ne sait pas grand’chose des informateurs, si ce n’est que Datiko Charachidzé a joué ce rôle à Istanbul pendant quelques années.

 

La vie de Prométhéene s’arrête pourtant pas à la revue. Il est visible que les membres de cette petite société en exil se rencontraient souvent. De 1931 à 1933 par exemple, des “réunions Prométhée” furent organisées: un conférencier y était invité, prométhéen comme Mir Yacoub-Mehtiev, M. Tchokay ou G. Gvazawa; ou invité extérieur, comme les Ukrainiens Kovalsky ou Jeremijev. Ces réunions avaient lieu au siège de Prométhée. Les confé­rences suscitaient toujours beaucoup d’intérêt et c’est là une des fortes originali­tés du mouvement: les Prométhéens ne s’intéressaient pas à la situation de leur seul pays. Les débats qui suivaient étaient vifs, comme en témoi­gnent les comptes rendus dans la revue, surtout lorsque des Russes y par­ticipaient.xxxiv

Les informations sur les réfugiés ont pourtant leur limite: on ne trouve rien sur la dynamique interne du mouvement prométhéen, les rivalités, les tendances qui existaient inévitablement, ni sur son fonctionnement et son organisation: direction du mouvement, provenance, gestion et utilisation des fonds, mode de prise des décisions, tout cela est peu perceptible pour l’instant. C’est l’aspect le plus faible des revues du mouvement, car le discours veut faire croire en une unité de pensée, guidée uniquement par le patriotisme et l’anticommunisme, ce qui est peu vraisemblable. Outre le financement, la question du pouvoir au sein du mouvement n’est jamais abordée.

 

En dehors des “réunions Prométhée”, la revue témoigne d’autres occasions de rencontres. Obsèques et commémorations sont des moments importants de la vie des exilés, transmettant la mémoire collective; le mois de mai était très chargé, avec les anniversaires des proclamations d’indépendance des quatre républiques du Caucase, célébrés simultanément à Berlin, Varsovie, Istanbul, Prague. A Paris, les commémorations faisaient se remplir l’Hôtel Majestic en 1928, la salle de la Mutualité en 1933, l’Hôtel des Sociétés savantes en 1935. Puis, désintérêt et découragement l’emportèrent: en 1937, la fête du Caucase est célébrée dans l’intimité et se termine par une visite à la veuve de A.M. Toptchibachi. L’Istiklâl de Resulzade (Berlin) transmet aussi la mémoire des joies (le 28 mai ou Iman günü dont il relate les célébrations, en 1933, à Istanbul, Diyarbakir, Varsovie, Kars, Igdir, Konya, Van, Téhéran, Recht) ou des deuils (le matemdu 27 avril).

Ces derniers sont commémorés également: il faut entretenir et transmettre la rancoeur contre l’ennemi à l’occasion de l’anniversaire de la révo­lution d’octobre, de l’assassinat de Simon Petlura. Lors des fêtes ou réu­nions, le monde prométhéen est là, rassemblé, solidaire: à la fête du Caucase de 1933, le Turkestanais M. Tchokay prononce un émouvant discours de soutien à ses frères caucasiens. Il y a aussi presque toujours une délégation arménienne (dont la tendance politique n’est jamais précisée) et des représentants des pays d’accueil: polonais, genevois, français (E. Evain, président du conseil municipal de Paris; A. Chevalley, ancien délégué général de la France au Caucase).

 

Enfin, il y a régulièrement dans Prométhée une revue de presse, qui signale avec soin la naissance de nouvelles revues d’exilés, à Istanbul, Berlin ou Varsovie. Les éditoriaux des premiers numéros et les articles importants de ces revues-soeurs sont souvent reproduits. Tchokay faisait un énorme travail de documentation et d’information, collectant tout ce qui paraissait, en quatre ou cinq langues, sur le monde soviétique et turc-musulman. Ses archives comportent des cartons entiers de coupures de presse, revues, articles annotés, commentés, auxquels sont adjointes les réponses qu’il prévoyait de publier dans Prométhée ou Yach Türkistan. Elles témoignent de l’ardeur au travail des exilés. On mesure d’autant mieux la déception, l’amertume, le désespoir qui les a saisis lorsque, autour de 1934, leurs efforts se sont révélés vains.

Les revues de presse révèlent une très grande perméabilité des organes prométhéens. En effet, les acteurs du mouvement ne se réservaient pas à l’une ou l’autre des revues, mais s’exprimaient épisodi­quement un peu partout. Ainsi Tchokay, outre Prométhéeet Yach Türkistan, publiait dans fiimali Kavkasyade Varsoviexxxv, Yeni Türkistand’Istanbulxxxvi. Yach Türkistan correspondait avec Türk Yurdud’Ankara, Millî Yol de Berlin, Emel de Constantza.

 

Les appuis de Prométhée : la Pologne

Le soutien polonais est discret, mais certains signes révèlent son importance. Nous avons évoqué en détail, dans un autre articlexxxvii, les céré­monies et commémorations qui en font foi, comme le dixième anniversaire des indépendances des républiques du Caucase, le 27 mai 1928, fêté à Varsovie, la tenue dans cette ville du Congrès linguistique du mouvement prométhéen, du 31 mai au 2 juin 1935xxxviii, ou le traitement exceptionnel accordé par Prométhée à la mort de Pilsudskixxxix. La Pologne dispose d’un instrument scientifique pour ce soutien, sous la forme de l’Institut oriental de Varsovie. Il publie la revue Wschod - Orient(1930-1939)xl, et a organisé, conjointement avec Prométhée, une rencontre à Varsovie entre Tatars de la Dobroudja roumaine et Tatars polonaisxli. L’Istiklâl de Resulzade est également témoin discret de cet appui.

 

Le soutien polonais explique-t-il les ressources financières du mouvement? Prométhéeet les autres revues, ne pouvaient vivre des abonnements. Les incessants déplacements de leurs animateurs de Paris à Berlin, de Varsovie à Istanbul, l’importante mission de deux ans de Ayaz Ishaki auprès des Tatars d’Extrême-Orient, tout ceci nécessitait des fonds. Cet aspect de l’histoire prométhéenne ne peut donner lieu pour l’instant qu’à des suppositions.

 

Les appuis suisses et français

Si les appuis financiers ne sont pas connus pour l’instant, les appuis politiques ou moraux sont plus faciles à établir; deux d’entre eux sont assez voyants.

A Genève, une présence constante est nécessaire pour tenter de peser sur la SDN. Dans cette ville, les Prométhéens peuvent compter sur Jean Martin, le directeur du Journal de Genève. Il a visité la Géorgie indé­pendante, et depuis 1921 milite pour la reconnaissance du gouvernement en exil. Il est président du Comité international pour la Géorgie. C’est pourquoi les Géorgiens sont solidement implantés à Genève; une “Association pour la Géorgie” y a son siège. Jean Martin et ses collabora­teurs du Journalécrivent de temps en temps dans Prométhée. Mais la figure la plus éminente des appuis suisses est Giuseppe Motta, ministre des Affaires étrangères durant deux décennies, et rapporteur à la SDN. La gratitude de Prométhéeva sans réserve à cet homme qui a fait voter la résolution en faveur de l’indépendance de la Géorgie (1922), et s’est opposé à l’entrée de l’URSS dans la SDN (1934).

En France, le principal appui semble être le “Comité France-Orient” (CFO), fondé en 1913 sous les auspices du ministère des Affaires étrangères. Il est présidé en 1929 par Paul Doumer, Président du Sénat; parmi les dirigeants, des généraux, d’anciens ministres; on compte Claude Farrère parmi les membres d’honneur (il sera président en 1936); parmi ses promoteurs, A.M. Toptchibachi et Djeyhun Hadjibeyli; l’ambassadeur de Turquie à Paris, Fethi Bey; des délégués des nationalités opprimées, comme Tchokay.

Le Comité France-Orient apparaît dès le n°2 dans Prométhée. La revue rend compte de réceptions franco-caucaso-arméniennes (1927) où se retrouvent, aux côtés des Caucasiens, le directeur de l’Institut des langues orientales, des ministres, des diplomates, des représentants de la presse parisienne, des turcologues comme Joseph Castagné (qui a des relations cordiales avec Tchokay), etc. Les commémo­rations sont souvent organisées par le C.F.O. Les Prométhéens ont donc une vie mondaine qui leur permet de tisser des liens personnels avec le monde politique, diplomatique, universitaire, journalistique.xlii

 

 

Un projet “prométhéen” : la Confédération caucasienne.

Une Confédération caucasienne avait existé de façon éphémère en 1918, avant que chacune des républiques ne prenne son indépendance en mai. L’idée renaît à Paris en 1924. En octobre et novembre, les repré­sentants d’Azerbaïdjan, de Géorgie et du Caucase du Nord se réunissent; il envisagent une forme fédérative assez étroite, par une unification des fonctions étatiques supérieures, “dès la libération du Caucase des troupes d’occupation soviétiques russes”. En attendant que cet événement se réalise, les représentants “concluent à la nécessité d’unifier l’action des organes (…) résidant à l’étranger”. Dans ce but, les représentants fondent, en cette fin de 1924, un Comité caucasien qui doit organiser la lutte pour la libération.

Dans Prométhée, l’idée de Confédération apparaît en 1927 (n°4), et est lancée solennellement au cours des cérémonies du Xe anniversaire de la proclamation d’indépendance à Varsoviexliii; l’année suivante, un important mémorandum est adressé à la SDNxliv. Au cours des années 1929-1930, l’idée fait l’objet de grands articles de têtexlvet devient l’un des princi­paux propos de la revue. En même temps, on voit se développer un thème parallèle: le rejet du pantouranisme; car il faut, à mesure que se développe cette idée, réfuter les insinuations soviétiques - ou même celles des Russes blancs - de projet pantouranien ou de projet d’état-tampon mani­pulé par la Turquie.

Les appels à la formation d’une Confédération se font très pressants au début des années trente, parce que la confédération caucasienne sovié­tique elle-même est menacéexlvi;et surtout parce que la collectivisation provoque un sursaut tandis que le Caucase, en 1930-1931, s’embrase contre les bolcheviquesxlvii. Pendant un temps, un Géorgien écrivant sous le pseudonyme de Kartvéli impose ses conceptions; il est visiblement fasciné par l’exemple suisse et rêve d’une nouvelle Helvétie, une confédération solide malgré le cloisonnement du relief, et où l’élément ethnique n’aurait aucune importance.xlviii

Ce projet ne suscite pas seulement des rêves romantiques: Kartvéli écrit aussi des articles juridiques très techniques sur la future confédé­rationxlix. Il ravive aussi la conscience historique, et les “Prométhéens” s’attachent, un peu plus tard, à rappeler “la tradition d’union des peuples du Caucase au long de leur histoire”l.

Le 14 juillet 1934, le pacte est signé à Bruxelles, par les représentants de l’Azerbaïdjan (Resulzade, Toptchibachi), de la Géorgie (N. Jordania, A. Tchenkelili) et du Caucase du Nord (G. Sounche, I. Tchoulik, T. Chakmak) . Les six points de la déclaration ne diffèrent guère des principes adoptés en 1924: il y est question de la personnalité internationale de la Confédération, de son rôle dans la défense et la diplomatie communes, dans l’arbitrage entre ses composantes. L’article 6 réserve une place à la République` d’Arménie, qui n’est pas représentée parmi les signataires.

Malgré le sérieux des travaux préparatoires, la maturité des contractants et l’importance de l’enjeu, cette oeuvre est éphémère. Le Comité du pacte se dissout en 1935, sans que Prométhé en explique les raisons. Il laisse la place à une Conférence des organisations nationales (réunie du 14 au 23 février 1935) qui crée un Conseil de Confédération du Caucase. L’entreprise reste dans le vague et n’aboutit pas à un véritable gouvernement confédéré en exil.

Il est trop tard. La SDN a reconnu l’URSS et ses frontières. Aucun pays membre ne peut plus soutenir officiellement des personnages que l’on doit considé­rer désormais comme des séparatistes. La Confédération ne peut plus être autre chose qu’une assemblée de rêveurs isolés, de combattants perdus.

 

III - PROMETHEE, LA TURQUIE et le pantouranisme

 

Sur les douze années de parution de Prométhée(137 numéros) une trentaine d’articles concernent directement la Turquie. ils sont dus à des Caucasiens que la Turquie intéresse à plus d’un titre. Elle fournit, par rapport à l’URSS, un contre-exemple de révolution réussie (dans le sens de la modernisation et de la laïcisation) et n’ayant pas entraîné de catastrophe économique, ni une oppres­sion semblable à celle que subit la population soviétiquelii. Elle a une position stratégique, sur le flanc sud de l’URSS, et les relations qu’elle entretient avec son grand voisin sont importantes pour les peuples du Caucase; aussi, les fluctuations de l’”amitié” turco-soviétique sont-elles suivies et commentées de près. Enfin, un intérêt de la Turquie envers les peuples turco­phones d’URSSpeut provoquer des accu­sations de pantouranisme de la part de l’URSS. Dans l’intérêt de leur cause, les rédacteurs de Prométhée doivent sans cesse bannir de la revue la moindre trace d’esprit pantouraniste.

Parmi les auteurs d’articles sur la Turquie, on compte les rédacteurs les plus importants de la revue: M.E. Resulzade, Mir Yacoub, Mustafa Tchokay, mais aussi les Géorgiens S. Menagari et A. Assathiani. Quelquefois la Turquie fait l’objet d’un éditorial non signé. rLa Turquie, en outre, apparaît très souvent dans les chroniques, pour signaler une commémoration célébrée à Istanbul (anniversaires des Républiques du Caucase par exemple); la parution de telle ou telle publication caucasienne; la présence sur le Bosphore d’un réfugié d’URSS ou d’un responsable de mouvement émigré.

 

Relais pour l’information

Enfin la Turquie joue un rôle de relais très important pour les infor­mations venant d’URSS, qui passent souvent par Trabzon, Igdir, Kars, Erzurum, Istanbul. Ces informations ne sont pas toujours de première main et proviennent parfois de l’Istiklâlde Resulzade (Berlin), de l’Azerbaycan Yurt Bilgisi, du Yeni Kavkasya, du Yeni Türkistan, de l’Odlu Yurt (Istanbul). C’est ainsi qu’en 1927 le Yeni Kavkasya relate le retour à Baku de membres du parti Müsavatinternés aux îles Solovkiliii. Les informations disponibles en Turquie sont précises: un article portant les purges dans le Parti Communiste d’Azerbaïdjan donne des détails biographiques intéressants sur les victimesliv. C’est parfois d’Istanbul qu’on apprend des actes de résistance (émeutes à Tiflis et Koutaïs)lv.La revue signale l’arrivée de vagues de réfugiés en Turquielvi. Ces informations apparais­sent dans de petites chroniques, à la fin de chaque numéro. La lecture en est passion­nante et montre à quel point la répression, dans les régions les plus lointaines de l’URSS, pouvait être connue jusqu’à Paris dans ses moindres détails: on pouvait tout savoir sur le Goulag dès 1930, quarante ans avant que ne paraissent les oeuvres majeures de Soljenytsine.

 

Crainte et rejet du pantouranisme

Pour les Prométhéens, le pantouranisme fait le jeu de l’URSS: un épouvantail agité à la face de l’opinion publique mondiale, pour justifier la propagande internationaliste, anti-nationale dans les régions turcophones.Dès qu’un intérêt quelconque se montre en Turquie pour les “frères” du nord et de l’est, l’URSS peut agiter ce spectre. Le pantouranisme ayant très mauvaise presse dans les milieux diplomatiques occidentaux, le gouverne­ment turc craint vivement cette accusation. Il est donc de l’intérêt des réfugiés que les pantouranistes, s’il y en a, ne se mani­festent pas. Les accusations de pantouranisme touchent tous ceux qui, simplement, évoquent une communauté culturelle, une parenté d’esprit entre les peuples turcs, des liens même sentimentaux entre turcophones et Turcs. Elles émanent de certains milieux arméniens, de la propagande soviétique évidemmentlvii,mais souvent aussi des émigrés russes blancs (entourage de Kérensky).

Les articles se défendant de ces accusations de pantouranisme sont surtout fréquents en 1930, et le n°38 (janvier 1930) est entièrement consacré à cette question, car la version russe du fameux livre de Zarevand vient de paraîtrelviii. Qu’il y ait ou non une collusion entre Zarevand et les milieux russes blancs, il est clair que leurs intérêts convergent sur ce point. Dès 1928 les milieux kérenskistes répandent l’idée que les pays du Caucase doivent se méfier de la Turquie. Prométhée réagit vigoureusement contre ce qui est qualifié de manifestation de l’impérialisme russe. Ainsi Resulzadelixoppose-t-il le “panturquisme culturel”, utile et qui doit s’étendre sous forme de relations culturelles, et le “panturquisme poli­tique” qu’il quali­fie de “romantisme trompeur”.

Aux attaques du livre de Zarevand s’ajoutent des propos de l’Arménien Khondkarian publiés dans Dni, accusant les Prométhéens d’avoir pour but une union avec la Turquielx. L’article de tête de cet important n°38 qualifie d’absurde toute idée pantouraniste, puisque la Turquie n’est pas contiguë aux autres pays turcophones, et que “la communauté de race, à elle seule, n’a jamais déterminé (…) d’unité politique”. Resulzade se gausse de Khondkarian, et, chose exceptionnelle dans Prométhée, fait une allusion menaçante au sort des Arméniens dans l’empire ottoman: “Il vous arrivera en Russie ce qui est arrivé en Turquie à l’Arménie. Attendez-vous à cela!” Selon Resulzade, le rêve panturquiste est tombé, et d’ailleurs, en son temps, il a joué un rôle bénéfique pour diminuer l’influence de l’Islam. Il évoque ensuite une tendance peu connue de la vie politique turque, l’”anatolisme”, menée par Mukrimin Halil Bey, qui estime qu’il n’existe pas de nationalité turque, et qu’il vaudrait mieux baptiser le pays “Anatolie” pour montrer qu’il est ouvert à toutes les “races”. Il avait déjà exposé ce courant d’opinion dans Prométhéelxiet croit qu’il s’agit d’”un caractère essentiel du nationalisme de la Turquie moderne” appelé à se développer. Enfin, il retourne l’accusation contre les Arméniens, et accuse les parti­sans du Dachnak de préparer un “panarménisme” ou “panaryanisme” en favorisant notamment l’agitation kurde.

Toujours dans ce numéro, Tchokay monte lui aussi au créneau, rendant hommage à Atatürk: “Il est certain que nous sommes turcophiles (…). Mustafa Kemal et la Turquie nous sont chers.” Mais il qualifie le toura­nisme de mythe qui a surtout servi à lutter contre le panslavisme: “Les touranistes n’ont jamais songé (…) à une union quelconque avec la Turquie.”. Il reviendra à la charge dans un numéro ultérieur: “Supposer que le Turkestan peut être pris par Kemal (…) et former un territoire qui s’étendrait ‘de la Volga au Pamir’ est un idée (…) qui ne peut germer que dans la tête d’un homme qui a effectivement perdu le sentiment de la réalité et qui vit sous l’empire d’une terreur fantastique.”lxiiD’ailleurs, dit-il, les contacts entre la Turquie et le monde turcophone sont tellement difficiles qu’on ne voit pas comment des relations politiques seraient possibleslxiii.

Les Prométhéens s’irritent aussi chaque fois qu’en Turquie se font entendre des désirs d’union avec le Caucase: lorsque Birlik d'Istanbul se prononce pour l’indépendance du Caucase et du Turkestan, “sous réserve que, lorsque le moment viendra, ils s’unissent à la Turquie pour former un Etat unique, l’Etat Turc”, S. Menagari dénonce une provocation et rétorque: “De toute évidence, Moscou a trouvé des défenseurs dans certains journaux turcs et ce qu’on ne peut faire sous un nom russe se fait sous un nom turc.”lxiv

En somme, la dénonciation du touranisme est un thème fort dans Prométhée. Les membres du mouvement ne demandent jamaisd’union avec la Turquie, quelle que soit leur admiration pour les réalisations de la République kémaliste. Pour les Prométhéens, le pantouranisme n’est qu’un instrument de propagande soviétique ou russe blanc, un moyen parmi d’autres de dénigrer le mouvement.

 

Les rapports turco-soviétiques

Ils sont d’une importance cruciale pour le mouvement. En effet, les réfugiés turcophones sont les seuls, parmi les Prométhéens, à disposer encore d’un foyer, d’un pays non occupé par l’Armée rouge, qui puisse leur servir de patrie de rechange (et bien souvent de patrie d’adoption) où ils ne soient pas trop dépaysés. Les Ukrainiens, les Géorgiens n’ont pas cette chance. Istanbul devient aussi, dans ces années-là, un centre d’édition de revues concernant le monde turcophone, et, on l’a vu, un relais pour l’information sur l’URSS.

Il est donc important que les Prométhéens puissent y séjourner et s’y exprimer librement. Mais les impératifs des relations turco-soviétiques y font souvent obstacle. L’objectif du kémalisme est de vivre en paix avec son grand voisin, et d’étouffer tout ce qui peut ressembler à du pantur­quisme. Aussi la Turquie n’a-t-elle jamais apporté le moindre appui officiel aux Prométhéens. Au contraire, ceux-ci ont dû parfois subir quelques tracas: en 1920, les Russes obtiennent l’expulsion de Resulzade; en 1927, le gouver­nement turc suspend Yeni Kavkasya en raison de la visite d’une délégation turque pour le 10e anniversaire d’Octobrelxv; en 1931, Odlu Yurt, Bilderifl, Azeri-Türk, Yeni Türkestansont suspendus à leur tour. Cette distance prudente prise par le gouvernement turc ne suscite pourtant jamais d’attaques ni de critiques dans Prométhée: Le mouvement a trop besoin de la Turquie.

 

Prométhéerend assez fidèlement compte des fluctuations des relations turco-soviétiques qui balancent entre l’amitié et la tension. La revue ironise lorsque les organes officiels soviétiques dénoncent le “social-réformisme allié de la bourgeoisie anato­lienne et du monde des koulaks”, la “terreur kémaliste”, etc.lxvi. Ces injonctions soviétiques n’impressionnent pas les Prométhéens, habitués à une lecture attentive de la presse officielle, rompus à décrypter le langage de la propagande. Ils craignent simplement que Moscou ne réussisse à détruire l’image de la Turquie aux yeux des peuples turcophones, en faisant croire à une volonté expansionniste d’Ankara.

Ils sont nettement plus inquiets dans les périodes de détente: l’intérêt des Prométhéens est évidemment qu’il n’y ait pas d’amitié solide entre la Turquie et l’URSS; pour eux, cela signifierait menaces d’expulsions, d’interdictions de publier et perte d’une seconde patrie. Ils se montrent très méfiants, en rappelant le passé, la poussée constante de l’empire russe vers le Sud: “Tant que la Russie conservera des frontières communes avec la Turquie et la Perse, la vie et l’existence de ces deux Etats sera éternellement menacée.”lxviiMir Yacoub estime que le langage de concilia­tion est simplement signe de faiblesse de l’URSS. Pour Prométhée, l’intérêt de la Turquie est de ne jamais se laisser prendre aux flatteries, et de s’ancrer solidement à l’Ouest.

Dans les moments de tension, le pantouranisme joue son rôle des deux côtés: lorsque l’URSS veut dénoncer l’amitié turco-soviétique, elle agite le spectre du pantouranisme; et lorsque se fait entendre en Turquie le moindre propos panturquiste, Prométhéey voit la propagande soviétique.

 

 

 

IV - DE LA TENTATION ALLEMANDE A LA PROTECTION AMERICAINE

 

L’agression allemande de septembre 1939 en Pologne fit perdre un soutien précieux à Prométhée. Lorsqu’en 1940 les armées allemandes occu­pèrent Paris, la revue,en tant qu’“invention polonaise”, dut cesser de paraître. Les Prométhéens restés en Pologne sous contrôle soviétique furent évidem­ment pourchasséslxviii.

Mais en 1941 l’agression nazie contre l’URSS va une nouvelle fois retourner la situation: les Prométhéens, d’abord inquiétés comme ressor­tissants soviétiques, apparaissent une nouvelle fois comme des alliés potentiels de l’Allemagne, qui a intérêt à attiser les problèmes nationaux et à créer des entités nationales qu’elle contrôleraitlxix. Les camps de prisonniers allemands renferment un million de soldats d’origine ukrai­nienne, cauca­sienne, turkestanaise. La tentation est grande, pour les Prométhéens, d’accepter de collaborer avec les nazis qui cherchent à utili­ser cette force disponible contre l’URSS. De juillet à décembre 1941, Mustafa Tchokay, visiblement manipulé par l’Uzbek pro-nazi Veli Kayum-Khan [Kajum-Khan]lxxet le turco­logue allemand Gerhardt von Mende, va inspecter les camps de prisonniers soviétiques en Allemagne; mais il meurt prématurément en décembre 1941lxxi. Beaucoup de responsables turco­phones du mouvement regagnent la Turquie neutre; Resulzade se réfugie à Bucarest, mais séjourne néanmoins à Berlin en 1942-1943 avec d’autres leaders caucasiens. Les nazis mettent sur pied une “Légion Turkestan” qui combattra sur le front Est. Des Tatars de Crimée et de la Dobroudja font le voyage de Berlin.lxxii

Roman Smal-Stocky, dans la relation qu’il fait de l’histoire du mouvement prométhéen en 1947, en pleine guerre froide, ne parle pas de ces tentations collaborationnistes: il ne fait état que des Prométhéens qui ont épousé la cause de la résistance antinazie, en jetant un voile pudique sur l’autre attitude qu’on peut expliquer par le désespoir.

 

L’après-guerre verra quelques tentatives pour remettre le mouvement sur pied à un moment où l’URSS est plus forte que jamais, et où les déportations massives de 1943-1944 en Crimée et dans le Caucase ont fait perdre tout espoir aux peuples soumis. Certains membres du mouvement se regroupent en congrès à La Haye (20 avril 1946) et accusent les alliés d’avoir commencé la guerre par un “petit compromis à Munich” et de la terminer par “un grandiose compromis total avec la dictature de Stalinelxxiii.Malgré tout, la confiance dans les USA est entière, et la ligue prend le nom de “Ligue prométhéenne de la charte de l’Atlantique”. Elle demande la poursuite de l’oeuvre commencée par la destruction de la dictature nazie, exhorte les Américains à continuer le combat pour délivrer les nations opprimées, demande que l’entrée de l’ONU soit interdite à l’URSS et propose les services des Prométhéens pour “démasquer les agents de Staline.

Ainsi le mouvement va devenir, sous une autre forme, un instrument de la guerre froide aux mains des Américains: l’Institute for the study of the USSR est fondé le 9 juillet 1950 à Munich, soutenu par l’American Committee for Liberation from Bolchevism. Cet institut publie pendant une vingtaine d’année de nombreuses revues (dont Dergi, revue en turc de bonne tenue, dirigée par le Tatar Abdullah Battal-Taymas). On y retrouve un proche de Veli Kajum-Khan, Baymirza Hayitlxxiv, des Prométhéens comme Mirza-Bala, et des historiens turcs prestigieux comme Z.V. Togan.

 

Il s’agit là d’un aspect de l’histoire des idées qui concerne autant la Turquie que le reste du monde turc. Car la solidité des liens tissés pendant ces décennies d’exil a créé un véritable réseau, qui sera utilisé pendant la guerre et les années qui suivent, à des fins nationalistes. Une autre histoire est à faire: celle de l’influence américaine sur ces réseaux, à partir de l’Institutede Munich.

 

L’histoire dont nous avons tracé une esquisse montre la diffi­culté qu’il y a pour ces mouvements nationaux à rester autonomes face à la grande puissance du Nord: depuis 1921, les Prométhéens ont toujours dû s’allier à la fois entre eux et avec une puissance extérieure: Pologne, France, Allemagne, puis Etats-Unis. Aujourd’hui, on doit se souvenir que des liens personnels et politiques forts ont existé, depuis 1917, entre Azéris, Géorgiens, Ukrainiens, Caucasiens du Nord, Turkestanais, Ukrainiens. Beaucoup se sont connus dès 1905, ont renforcé leurs liens dans l’exil, ont cherché à oeuvrer ensemble contre un ennemi commun, qui n’était pas seulement le bolchevisme, mais l’impérialisme russe. Plus intéressante encore est leur lutte pour construire un idéal fédératif. Certes, ces hommes avaient entre eux des désaccords, mais leur puissance de travail, la force de leur idéal les ont soudés en une équipe remarquable­ment cohérente pendant presque deux décennies. La collaboration était effective entre Turcs et non-Turcs; la conscience, pour les turcophones, d’appartenir à un monde commun fut probablement renforcée par les innombrables contacts personnels qui se tissèrent. Et, chose importante, les Arméniens, qui faisaient parfois l’objet de sévères critiques lorsqu’ils faisaient le jeu des Russes, n’ont jamais été exclus: s’ils se sont exclus d’eux-mêmes du mouvement, ils participaient néanmoins à la plupart des manifestations (commémorations) et les Prométhéens, regret­tant leur “absence momentanée”, étaient prêts à les accueillir parmi euxlxxv.

 

 

Conclusion :

Le silence de la gauche turque sur les “peuples frères”

 

Il est possible de tenter quelques esquisses d’analyse portant sur cette période et sur le processus qui a conduit une partie des Prométhéens, hommes généralement démocrates, souvent de gauche, à s’allier avec le nazisme ou à espérer en lui, et, un peu plus tard, à s’engager, en Turquie, aux côtés de mouvements ou d’hommes de l’extrême droite natio­naliste.

 

Les Prométhéens ont été les jouets des circonstances. Plongés dans le contexte de l’histoire diplomatique européenne, ils ont été dépassés par le cynisme des puissances, qui les ont soutenus seulement lorsqu’elles y trouvaient leur compte. La raison d’Etat a primé sur leur cause, et l’abandon de la SDN et des démocraties occi­dentales n’a pas été compris et a trop déçu.

Le combat national - ou patriotique, si l’on préfère - des respon­sables caucasiens ou turcophones exilés a été indissolublement mêlé au combat antibolchevique. Lorsque l‘existence de l’URSS fut progressive­ment acceptée par les puissances et la SDN, les gouvernements démocrates ne pouvaient plus soutenir ceux qui étaient devenus des sécessionistes; les gouvernements autoritaires, fascistes, furent les seuls à déclarer poursuivre le combat antibolchevique. Dès lors, il était fatal que le mouvement prométhéen finisse par être récupéré par l’extrême-droite française, et se laisse fasciner par l’Allemagne. Cette attitude peut s’expliquer par le désarroi d’hommes qui n’avaient, vers 1936, plus aucun espoir de retrouver leur patrie, encore moins de la diriger. Mais ce désespoir suffit-il à expliquer leur mutisme, l’absence de prise de position sur le nazisme? Sauf entre 1939 et 1941, il n’ont vu Hitler que sous son aspect antibolchevique. Ils n’ont rien voulu voir de la répression et des persécutions en Allemagne.

Etait-il possible, entre 1933 et 1939, de résider en Allemagne, d’y éditer un hebdomadaire (comme Resulzade), d’enseigner en faculté (comme Togan), sans accepter tacitement ce qu’y s’y passait? Comment Tchokay, un homme à la fois si réfléchi et si sensible, a-t-il pu croire pouvoir participer à l’organisation d’une légion sous la bannière nazie sans y perdre son âme? Des hommes comme Kayum Khan et B. Hayit pensaient-ils vraiment qu’une domination nazie sur l’Asie centrale serait plus douce que la domination bolchevique?

Les Prométhéens et leurs successeurs n’ont pas clairement pris leurs distances avec les régimes autoritaires, à commencer par celui de Pilsudski, parce qu’ils ne pouvaient pas se le permettre. On cherchera vainement dans Prométhéela moindre critique à l’égard de l ‘Allemagne - et cela ne s’explique peut-être pas seulement par le devoir de réserve imposé à à des réfugiés politiques. Les Prométhéens n’avaient pas d’idéologie bien définie, ou l’ont occultée, par nécessité tactique, pour se définir seulement par l’anti-bolchévisme. Ils ne pouvaient donc que rallier la puissance la plus efficace­ment anticommuniste du moment. Cet antibolchévisme inconditionnel, fort compréhensible, les a aveuglés et les a conduits à faire le choix de l’Allemagne en 1941.

 

Il en résulte un lien assez trouble entre le combat national des turcophones et les relations avec l’Allemagne. D’autant plus que celle-ci a cherché à obtenir le soutien des Turco-Tatars et des Caucasiens pendant la guerre. D’ailleurs, ces peuples l’ont payé chèrementlxxvi. Un tel lien a infléchi la nature du natio­nalisme des allogènes d’URSS, et peut-être du nationalisme turc, dès lors que beaucoup de ces responsables se sont établis en Turquie. En effet, Z.V. Togan, A. Inan, M. Mirza-Bala, A. Battal-Taymas ont participé, pendant la guerre en Turquie, à des entreprises nationalistes, de concert avec des panturquistes notoires: Reha Oguz Türkkan, Nihal Atsiz, Necdet Sançar, Alparslan Türkes. Les mêmes, ainsi que Resulzade, Caferoglu, Said Chamyl, ont participé à des contacts turco-allemands pour essayer d’entraîner la Turquie dans la guerrelxxvii.

 

Il faut constater que pendant toute la période “prométhéenne”, il y a une crainte permanente de paraître pan­turquiste. C’est que le panturquisme était pour l’URSS une idée commode servant sa propagande: le mot était un épouvantail, pour dénoncer à la face du monde les agissements des Prométhéens. Et toute manifestation d’admiration ou de sympathie pour la Turquie, tout intérêt marqué d’un peuple turc pour un autre était taxé d’aspiration panturquiste.

 

Cette crainte de paraîtrepanturquiste a eu des conséquences graves: elle a fini par empêcher la formation d’une analyse et d’un discours de gauche (sultan-galieviste ou tiers-mondiste) sur les “Turcs de l’extérieur”. Comme le kémalisme privilégiait l’amitié avec l’URSS et se taisait sur cette question, seule la droite s’est exprimée. La gauche lui a abandonné le terrain : son discours était inhibé par l’appartenance des “frères turcs” - et de la gauche - à la sphère soviétique (ou chinoise), et par le désir de ne pas nuire à l’URSS.

Ainsi, jusqu’à la chute de l’URSS, il ne put exister de combat national (patriotique) sans combat anticommuniste. Inversement, l’anticommunisme s’intéressa presque naturellement aux “Turcs de l’extérieur”. C’est pourquoi les Prométhéens, lorsqu’ils se sont installés en Turquie, n’ont trouvé pour les écouter que la droite nationaliste. C’est ainsi qu’ils ont été mêlés à des événements et des initiatives qualifiés de panturquistes. On a parfois (et volontairement) confondu dans ce mot commode et accusateur l’intérêt pour les peuples turcophones, la volonté de les libérer, l’anticommunisme.

Il y a eu un glissement vers la droite nationaliste de ce qui était au départ une aspiration à une solidarité inter-turque, aspiration formulée par des personnages qui n’avaient pas forcément des sympathies de droite, au contraire. L’adéquation qu’il y eut, surtout dans les années quarante et cinquante, entre les mouve­ments anti-communistes et l‘intérêt pour les peuples turcophones a fait du thème de la libération des peuples turcs un thème de droite. Ce sont les anticommunistes qui se sont approprié le vocabulaire antiimpéria­listelxxviii.

L’URSS étend son ombre sur la question des solidarités inter-turques, et sur le nationalisme turc, de 1917 à 1990. Le mouvement natio­nal, et le nationalisme turc, se sont trouvés surdétérminés par l’existence même de l’URSS. L’anticommunisme, devenu rapidement un facteur fondamental du mouvement prométhéen et national, l’a conduit à s’inscrire dans un combat (celui des nazis, puis celui de la guerre froide) qui l’a rapidement dépassé. L’idée de libération du monde turc et de son unification éventuelle (ce qu’on appelle commodément et parfois faussement panturquisme) devait presque fatalement être absorbée par le courant anticommuniste et pantouraniste turc, qui, parce qu’il était géographiquement aux avant-postes du monde dit libre, était particulièrement radical.

 

L’histoire du mouvement prométhéen est un exemple du processus qui a fait qu’en Turquie, la connaissance du monde turcophone a dû passer presque exclusivement par le filtre du nationalisme “turquiste”. Que (re)deviendra ce concept de turquisme maintenant que l’URSS n’existe plus? N’est-il pas permis de penser qu’une nouvelle idée de turquisme, mot embarrassant pour désigner des liens de solidarité (culturelle, économique et non point forcément politique) entre les peuples turcs, pourrait naître, qui n’ait plus les mêmes connotations que vers 1940?

 

NOTE SUR LES SOURCES

 

Des collections de Prométhéeet de La Revue de Prométhée se trouvent à la Bibliothèque Nationale (incomplète), à l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales) (complète, sauf n°1), à la Bibliothèque de la Société asiatique et à la BDIC (Bibliothèque de documentation internationale contemporaine).

L’Institut d’Etudes Turques (Paris-III) possède les années 1932 à 1934 de l’Azerbaycan Yurt Bilgisi (Istanbul), sept numéros de Dergi(Munich, 1955-1959),les trois premières années de l’Istiklâlde Resulzade (Berlin, 1932-1934, n° 1 à 60), une collection incomplète de Millij Türkistan, les n° 31, 33, 34 et 36 (1936-1937) de Simali Kafkasya,le n°2 (avril-juin 1939) de Kurtulus/Die Befreiung, et les n°21 à 115 (août 1931-juin 1939) de Yach Türkistan(en caractères arabes).

L’INALCO possède les années 1932-1933 de l’Azerbaycan Yurt Bilgisi, les n° 5 à 7 d’Azeri Türk (Istanbul, 1928), le Bulletin Officiel du Comité France-Orient (Paris, 1922-1940, incomplet), Emel (Constantza, 1938-1940), Millî Yul (Berlin, 1928-1936, en caractères arabes),Millij Türkistan (Düsseldorf, 1962),Orient et Occident (Paris, 1922-1953), une collection incomplète de Sakartvelo(1942-1944), de Sakhalko Sakme (la Cause Populaire, n° 1 à 8), de Shark Avazi(Tien-tsin, deux numéros de 1941); une collection de Türkeli(Munich, 1951, en russe), de l’Ukraine Nouvelle(Paris, 1928-1929), de Yangi Hayat (Kashgar, 1934, en caractères arabes).

La BDIC dispose de la plupart des publications de l’Institute of the Study of the USSR, de Munich: Bulletin (1955-1971), Bulletin of the Institute for the Study of the History and Culture of the USSR(1954-1955), Caucasian Review (1956-1959), Dergi (1955-1971), The East Turkic Review (1958-1960)Sovyetler Birliginde Aktüel Geliflmeler(1971), Studies on the Soviet Union(1957-1971, disponible aussi en Sorbonne), Türkeli (1951-1952, en russe et en turc tchagatay), Der Kaukasus(1951-1953), United Caucasus (1953), quelques numéros de Wschod-Orient(1937-1939) (collection incomplète également à l’Institut Slave de Paris).

La bibliothèque de la Société asiatique possède Azerbaycan (Ankara, 1952), Azerbaycan (Munich, 1952-1953, en turc, en russe ou en anglais), Azeri Türk(Istanbul, 1928, en caractères arabes), Emel(Constantza, 1938), Odlu Yurt, Orient et Occident (Paris),Yeni Kafkasya (Istanbul, 1926), Yeni Türkistan (Istanbul, 1927-1929).

 

 

i Nous utiliserons cette expression pour désigner le mouvement, son idéologie et son action. Ceux-ci se désignaient souvent eux-mêmes comme les “Prométhéens”, terme que nous avons également retenu, par commodité.

ii Pour l’anecdote, signalons qu’on trouve même à Paris un Parti Populaire des Montagnards du Caucase du Nord.

iiiLa dimension presque mondiale du mouvement est l’un de ses aspects les plus fascinants. Le périodique Istiklâl de Berlin signale un “Club Prométhéen” à Harbin (cf n°32, 1933) et une conférence sur Ismaïl Gasprinski à Tôkyô (n°37, 1933). Les archives de Tchokay (voir plus loin) attestent de l’existence en 1935 à Mukden d’un “Comité exécutif central des sociétés nationales et religieuses des Turco-Tatars de la Volga-Ural” et comporte une liste de vingt adresses de sociétés ou correspondants turco-tatars à Tokyo, Kobe, Nagoya, Kumamoto, Keijô (Corée), Harbin, Hailar, Shanghaï, Tien-tsin, Mukden, Kirin, Dairen; ce réseau politique de réfugiés se greffait donc sur les réseaux commerciaux des marchands de fourrures tatars.

iv Mustafa Tchokay (1890-1941) (Çokayoglu, Tchokay-Ogly, Tchokaieff, Chokaev: nous choisissons d’employer la graphie française du nom de ce personnage, qui a vécu à Nogent-sur-Marne pendant vingt ans), est né à Kyzyl-Orda (Turkestan russe), a étudié à Tashkent et Petrograd; il a noué des liens précoces avec l’historien bashkir Zeki Velidi [Togan]; en 1917, il participe aux congrès musulmans de Tashkent, Orenburg, Kokand; il devient membre du gouvernement Alas Orda (décembre. 1918-février 1919) puis, lors de l’assaut bolchevique au Turkestan, doit fuir à Tiflis (1919-1921), Istanbul, Paris (mars 1921) où il s’établit presque jusqu’à sa mort survenue en Allemagne. Il a collaboré à la Revue du Monde Musulman, Orient-Occident (1922) Yeni Türkestan (1927), Prométhée (1928-1938), La Revue de Prométhée (1938-1940), Wschod (1931). Il est le fondateur et l’animateur de Yafl Türkistan (1929). Après sa mort, son épouse a confié sa bibliothèque et ses archives à l’INALCO à Paris. Mais certaines des pièces les plus intéressantes ne sont pas disponibles. Une autre partie a été confiée à Emin Oktay qui l’assistait à la revue Yafl Türkestan, et se trouve sans doute à Ankara. cf. Lazzerini Edward, “The Archive of Mustafa Chokay Bey: an Inventory”, Cahiers du Monde Russe et Soviétique, 21, n°2, avril-juin 1980, pp. 232-239. Les archives et la bibliothèque personnelles d’Ali Mardan Toptchibachi sont déposées au musée Cernuschi à Paris, mais non communicables. La biblio­thèque ukrainienne Simon-Petlura de Paris, pourtant fondée par des “Prométhéens”, n’a pas pu nous venir en aide.

v Par exemple, de 1926 à 1938, le géorgien Georges Gvazawa est directeur sans interruption. A cette date, Prométhée se transforme, change de format (passe de l’in-8° à l’in-16), de titre (La Revue de Prométhée)... et de directeur, qui est jusqu’à la disparition de la revue en 1940 l’ancien ministre ukrainien Alexandre Choulguine. Georges Gvazawa ne reparait plus dans les colonnes de la Revue. Quelle dissension, quel désaccord sont à l’origine de ces changements? Rien ne nous permet pour l’instant de l’expliquer. Plus simplement encore, nous n’avons pour l’instant aucune évaluation du tirage des revues du mouvement, et donc de son impact réel.

vi Mehmet Emin Resulzade (Rassoul-Zade) (1884-1955), journaliste azéri (fiark-i-Rus, Hayat, Fütuhat, Irflad, Terakki), d’obédience müsavatiste. Séjours à Istanbul (1991-1913). Dirigeant du parti Müsavat (1917), chef d’Etat de l’Azerbaïdjan indépendant (1918-1920). Fuit en Finlande en 1922, puis partage son temps entre Istanbul, Paris, Berlin, Varsovie. Il fut l’un des plus importants collaborateurs de Prométhée. Fondateur d’Azeri-Türk, d’Odlu Yurt, rédacteur de Yeni Kavkaz (Istanbul), fondateur de Istiklâl (Berlin). Pendant la guerre, il séjourna à Bucarest et Berlin, puis s’établit en Turquie en 1947.

vii Ex-président (menchevique) de la République indépendante de Géorgie.

viii Alexandre Choulguine (Sul’hyn): ex-ministre des Affaires étrangères de l’Ukraine indépen­dante (1918). Séjourne à Paris à partir de 1927. Il fut l’un des fondateurs de Prométhée où il écrit fréquemment, puis directeur de La Revue de Prométhée (1938-1940).

ix C’est le cas des ouvrages de Azade-Ayche Rorlich (The Volga Tatars, a Profile in National Resilience, Stanford, Hoover Institution, 1986, xvi-288 p.); d’Alexander Motyl (The Turn to the Right: the Ideological Origins and Development of the Ukrainian Nationalism, 1919-1929, New-York, 1980, 212 p.); de Ronald Grigor Suny (Sakartvelo: the Making of the Georgian Nation, Stanford, Hoover Institution Press, 1989, xviii-395 p.)

x Le djadidisme est le mouvement qui, à la fin du XIXe siècle, tentait de définir les modalités de rénovation et de modernisation de l’islam. Le Tatar criméen Ismaïl Gasprinski (Gaspirali pour les Turcs) en fut l’un des principaux animateurs. Sur ce mouvement, voir les travaux d’Alexandre Bennigsen et d’Edward J. Lazzerini, notamment “From Bakhchesaray to Bukhara in 1893: Ismail Bey Gasprinskii’s Journey to Central Asia”, Central Asian Survey, vol. III, n°4 (1984), pp. 77-88; “Gadidism at the Turn of the Twentieth Century: a View from Within”, Cahiers du Monde Russe et Soviétique, 16, (1975), pp. 245-277; "Ethnicity and the Uses of History: The Case of the Volga Tatars and Jadidism", Central Asian Survey, vol. 1, n°2/3, 1982, pp. 61-70; “Beyond Renewal: The Jadîd Response to Pressure for Change in the Modern Age”, in Gross Jo-Ann (éd.), Muslims in Central Asia. Expressions of Identity and Change, Durham, Londres: Duke University Press, 1992, pp. 151-166.

xi Le Bashkir Ahmet Zeki Velidov (1890-1970), qui prit le nom de Togan en Turquie, est un personnage d’une importance considérable. Après des études d’histoire et de théologie à Kazan et St Pétersbourg, il entreprit des travaux de recherches dans le domaine de la turcologie au Turkestan russe. Il est l’auteur d’un ouvrage d’histoire prenant en compte le passé asiatique des Turcs (Türk ve Tatar Tarihi, Kazan, 1911). Il participa aux divers congrès musulmans de 1917, dirigea le gouvernement de la République bachkire (novembre. 1917) puis le bashrevkom jusque janvier 1920. Ne pouvant s’entendre avec les bolcheviques, il rejoint les milieux insurgés Basmatchis du Turkestan (1922), participe au congrès national de Tashkent (août 1922) et fuit en Turkménie, en Iran, en Inde (où il poursuit ses recherches turcologiques), puis à Paris (1923) et Berlin. Il contacte les futurs animateurs du mouvement prométhéen, puis se rend en Turquie en juin 1924. Il y mène une brillante carrière d’historien mais, en désaccord avec les “Thèses d’histoire” kémalistes, il quitte la Turquie pour l’Autriche, puis l’Allemagne (fonctions universitaires à Bonn, Göttingen, Berlin, 1932-1938). De retour en Turquie, il est mêlé à divers mouvements panturquistes et anticommunistes(1944), ce qui lui vaut arrestation et procès. Réhabilité, il redevient l’un des historiens officiels de la Turquie à partir de 1950.

xii Ayaz Ishaki (Idilli) (1878-1954), originaire de Kazan, a participé au congrès musulman de Nizhni-Novgorod en 1905 (tendance SR). En fuite en Turquie en 1907-1908, il eut des contacts avec les Jeunes Turcs. De retour en Russie, il joue un rôle important au Congrès des musulmans de Moscou (mai 1917) et participe à l’Assemblée tatare d’Ufa en novembre 1917. En 1918, il fuit au Japon, puis à Paris (1920) et Berlin (1928) où il fonde Millî Yol. Il collabore à Prométhée de 1929 à 1936, à l’Azerbaycan Yurt Bilgisi, à Wschod, etc. Il repré­sente les exilés turcs de Russie au Congrès islamique de Jérusalem (1931) et, en 1934-1935, visite les milieux tatars de Chine, de Mandchourie, du Japon.

xiii Sadri Maksudi ou Maksudov (1880-1959) qui prit le patronyme d’Arsal en Turquie, est originaire de Kazan et a étudié en Sorbonne (1902-1906). Député KD à la Duma, il participe aux congrès musulmans de 1917 et devient le premier chef d’Etat de l’éphémère République de l’Idel-Ural. Il fuit en Finlande, à Paris et en Allemagne (1920-1924), puis s’établit en Turquie (1925) où il devient un universitaire de premier plan. Historien et juriste il est, en Turquie, un officiel du kémalisme et l’un des principaux acteurs de la “réforme de l’histoire” de 1931-1932.

xiv cf M[irza]-B[ala], “Bolflevizm, Rusluk demektir (Bolchévisme signifie nationalisme russe)”, Istiklâl, n°8 (1932).

xv Smal-Stocki Roman, “The Struggle of the Subjugated Nations in the Soviet Union for Freedom. Sketch of the History of the Promethean Movement”, in The Ukrainian Quarterly, vol. III (1947), n°4, pp. 324-344. Dans son récit de la naissance du mouvement, R. Smal-Stocky, qui fut un des principaux acteurs de l’aventure, évoque aussi, parmi les facteurs “ukrainiens”, la tenue à Kiev en 1917 du Premier congrès des nationalités, et le sou­venir de l’hetman Mazeppa, qui n’hésita pas, au XVIIesiècle, à s’allier avec le roi de Suède Charles XII contre les Russes.

xvi Tchokay-Ogly Moustafa, “Souvenirs… incitant à l’action”, La Revue de Prométhée, III (7), décembre 1939, pp. 9-12.

xvii “Le Turkestan dans sa lutte pour la libération nationale”, signé J.B., Prométhée, n°19, juin 1928, pp. 24-27.

xviii voir Çokayo€lu M.Y., Eflinin A€zından Mustafa Çokayo€lu, Istanbul, Yafl Türkistan Yayını, n° 22, 1972, 166 p.

xix Abdullah Battal-Taymas (1882-1967), né à Samara, a étudié au Caire (Al Azhar). Il fut journaliste au Caire, Orenburg et Kazan. Député à l’Assemblée des Turco-Tatars d’Ufa, il prend la fuite, est interné en Sibérie, fuit de nouveau en Finlande (1921-1924) et gagne la Turquie en 1925. Il s’y lie à Fuat Köprülü, grande figure de la turcologie turque, et se livre à des acti­vités nationalistes pendant la guerre.

xx Mehmetzade Mirza-Bala (1898-1959), originaire de Baku, est historien, juriste et journaliste. Membre du parti Müsavat, il s’établi en Turquie en 1925. Il participe ensuite à toutes les entreprises nationalistes des turcophones, aux côtés de Resulzade, Togan, Battal-Taymas. Il écrit fréquemment dans Prométhée, Kurtulus/die Befreiung (Berlin), Türk Yurdu (Istanbul). Pendant et après la seconde guerre mondiale, il fait partie de divers mouvements nationalistes turcs, et joue un rôle très important dans l’Institute for the Study of the USSR de Munich.

xxi Ahmet Caferoglu (1894-1975), né à Gandja (Azerbaïdjan) a fait des études à Kiev, Baku, Istanbul (littérature, turcologie). Etabli en Turquie, il devient un universitaire de premier plan dans le domaine de la linguistique turque. Importante activité nationaliste dans des revues telles que Türklük, Azerbaycan, Mücahit, Azerbaycan Yurt Bilgisi dont il fut le directeur.

xxii Fath Ül Kadir Süleymanov (1889-1974), qui a pris le patronyme d’Inan en Turquie (il apparaît aussi sous les pseudonymes de Baflkırdistanlı Abdülkadir, Çıkılbay, Türkistanli, Türkmen, Idiloglu…), est un journaliste et professeur bashkir, précocement lié à Z.V. Togan avec qui il édite Baflkurt en 1918. Il accompagne Togan dans ses tribulations (1923-1925). Etabli à Istanbul à partir de 1925, il y est soutenu par Köprülü, et joue un rôle important dans l’élaboration des “Thèses d’histoire” kémalistes et dans la réforme linguistique.

xxiii Deux des plus influents réfugiés azéris à Istanbul, à l’époque de la révolution Jeune-turque. Leur influence, comme celle du Tatar Yusuf Akçura, sur la vie politique turque de cette époque, est considérable. Voir en particulier François Georgeon, “Les débuts d’un intellectuel azer­baïdjanais. Ahmed A€ao€lu en France, 1884-1894”, Passé turco-tatar, présent soviétique. Etudes offertes à Alexandre Bennigsen, coll. Turcica, VI, Louvain-Paris, Peeters, 1986, pp. 373-388.

xxiv Prométhée n°16 (1928) reproduit in-extenso le premier article de Resulzade dans Azeri Türk.

xxv Togay Muharrem Feyzi, Yusuf Akçura’nın Hayatı ve Eserleri (La vie et les œuvres de Yusuf Akçura), Istanbul, Hüsnütabiat Basımevi, 1944, 141 p.

xxvi Istiklâl, n° 45 (2O octobre 1933), p. 4.

xxvii cf Istiklâl, “Ankara’da Tarih Kongresi” (n°14, 15 août 1932); “Türkiye’de: büyük bir dil Kongresi. Türk tarihinin ana hatları” (n°16, 25 sept. 1932); “Dilde birlik: Istanbul’daki dil kurultay münasebetile” (n°17, 15 oct. 1932); et la réflexion qu’on en tire sur le cas azer­baïdjanais: “Azerbaycan dil ve milliyet mes’elesi. Türk dili ve Türk milliyetçili€i” (idem).

xxviii Ali Mardan Toptchibachi (Topçubaflı) 1859-1934), originaire de Baku, est le fondateur du parti Ittifak-al-Müslimin. Il a participé à tous les congrès musulmans de Russie et a été membre des deux dumas d’Empire. En 1918, il est Président du Parlement azéri et maire de Baku. En 1919, il préside la délégation azerbaïdjanaise à Paris, où il s’établit définitivement. Cf Fourniau Vincent, “Deux langues, trois pays, pour quelle société plurielle?”, in Mélanges offerts à Louis Bazin par ses disciples, collègues et amis, édités par Jean-Louis Bacqué-Grammont et Rémy Dor, publiés par l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes d’Istanbul, Paris, L’Harmattan, 1992, pp. 305-309.

Djeyhoun Hadjibeyli [Ceyhun Hacibeyli] (1891-1962) a étudié à Baku, St-Pétersbourg et à la Sorbonne. Journaliste à Baku, il fait partie de la même délégation que Toptchibachi et s’établit également en France. Il a écrit dans la Revue du Monde Musulman, La Revue des Deux Mondes, The Asiatic Review et fut un membre assidu de la Société asiatique.

xxix Il animait l’une des pre­mières revues “prométhéennes”, Trisub (Le Trident). On aura une idée du caractère controversé de sa personnalité en consultant les brochures éditées par la Bibliothèque ukrainienne Simon-Petlura: Martchenko Boris, Simon Petlura, Paris, 1976, 80 p.; Hunczak Taras, Symon Petlura et les juifs, Paris, 1987, 70 p.; comité pour la Défense de la Mémoire de Simon Petlura, En notre âme et conscience, la vérité sur Simon Petlura, Paris, s.d., 98 p., carte h.t.

xxx Sur cet aspect du mouvement prométhéen, cf notre article “De la mer Noire à la mer Baltique: la circulation des idées dans le ‘triangle’ Istanbul-Crimée-Pologne”, CEMOTI, n°15, février 1993, pp. 107-119.

xxxi Pourtant, l’Ukraine indépendante avait déjà subi une amère déception: Wilson s’était prononcé pour le maintien d’une “Grande Russie” et les Etats-Unis s’étaient opposés à son admission au sein de la SDN. Cette désillusion ukrainienne n’empêcha pas le maintien de la confiance dans le concert des nations, confiance d’autant plus néfaste que les gouvernements en exil n’avaient aucune expérience du cynisme des méthodes politiques et diplomatiques euro­péennes.

xxxii “Comment lutter contre la peste et le choléra”, La Revue de Prométhée, IV, 8-9, 25 avril 1940, pp. 1-4. Ce texte est daté du 5 avril 1940.

xxxiii La correspondance de Mustafa Tchokay en dit long sur le caractère presque mondial de son réseau de relations. Il correspond avec Yusuf Akçura, des membres de l’Université de Stanford, de l’Istituto Superiore Orientale de Naples (A. Bombaci), le Royal Institute of International Affairs, la Royal Central Asian Society de Londres. Les demandes d’abonnement à Yafl Türkistan proviennent de Tien-tsin, de Shanghaï, de Mukden, d’Inde, du Japon, de Helsinki.

xxxiv Par la suite, l’entreprise a donné naissance au Comité desamis des peuples du Caucase, du Turkestan et de l’Ukraine (1936-1937) dont les conférences sont abritées par l’Hôtel des Sociétés savantes.

xxxv Sur la constitution soviétique de 1936 (sujet qui l’a beaucoup mobilisé), n°33 (1937); autres articles dans les numéros 34 et 36.

xxxvi “La question du Turkestan”, n°1, 1927.

xxxvii Voir article cité, CEMOTI, n°15, février 1993, pp. 107-119.

xxxviii Sur ce congrès, cf Müstecib Ülküsal, Kirim Türk Tatarları (Dünü - Bugünü - yarını) (Les Turco-Tatars de Crimée. Passé - présent - avenir), Istanbul, Baha Matbaasi, 1980, 366 p., et R. Smal-Stocki, The Nationality Problem of the Soviet Union, Milwaukee, 1952.

xxxix Le numéro 102 de Prométhée (mai 1935) lui est entièrement consacré: fait unique dans l’histoire de la revue qui prend à cette occasion l’allure d’un organe officiel du gouvernement polonais.

xl L’Institut a publié en polonais des ouvrages de M. E. Resulzade, Azerbajzan w walce o niepodlegosc (L’Azerbaïdjan dans son combat pour l’indépendance); et Dzafar Sejdamet, Krym. Przeszlosc, terazniejszosc i dazenia niepolegloscowe Tatarow Krymskich, Varsovie, Instytutu Wschodniego, 1930, 170 p.

xli Prométhée n°107, 1935. On trouvera les principales interventions à la cérémonie qui se tint au siège de la Société turco-tatare de Pologne dans M. Ülküsal, Dobruca ve Türkler (La Dobroudja et les Turcs), Ankara, TKAE, Ayyildiz Matbaasi, 1966, 256 p. Dans Istiklâl (n°12, 1932), on signale l’existence d’une Société de Turcs de Pologne à Vilno.

xlii Le Comité éditait un Bulletin Officiel dont le dépouillement complet apportera sans doute des informations sur le mouvement prométhéen.

xliii Prométhée, n°20, 1928; idée formulée par Mustafa Vekilli, Joseph Salakaïa, Tambi Elekotti.

xliv Prométhée, n°23, 1928, pp. 1 à 3.

xlv Prométhée, n°35, 36, 38, 41, 44, 45, 46, 47.

xlvi Les communistes azéris “nationaux” sont “purgés” en 1930: Prométhée, n°41, 44.

xlvii Prométhée et Istiklâl donnent souvent des informations précises sur la résistance paysanne à la collectivisation.

xlviii Cette fascination de la Suisse s’exerce aussi beaucoup sur les Caucasiens du Nord; beaucoup de ces hommes ont séjourné à Genève et tous admirent ce pays montagneux, pluri-ethnique et sans histoires.

xlix Prométhée, n°44, 46, 50, 53, 56.

l Conférence de Vatchnadzé à l’Hôtel des Sociétés savantes, le 17 janvier 1933. Le compte rendu précise que quatre Arméniens présents soutiennent à fond l’idée de Confédération (Prométhée, n°75). L’histoire d’ailleurs tient une très grande place dans Prométhée, où elle sert à entretenir l’identité et la conscience nationale. Ceci est particulièrement net pour les Caucasiens du Nord et les Ukrainiens qui rappellent sans cesse le souvenir de l’imam Chamyl et de l’hetman Mazeppa.

li Kita Tchenkeli (né en 1895) est un juriste qui a tenu des postes de responsabilité dans la Géorgie indépendante (1917-1920), puis à l’étranger comme fonctionnaire géorgien. Il obtient en 1936 un doctorat de sciences politiques en Allemagne, où il poursuit une carrière universi­taire (Hambourg), puis en Suisse à partir de 1945.

lii Le 10e anniversaire de la République de Turquie, en octobre 1933, suscite commémora­tions et articles enthousiastes, plus encore dans Istiklâl (n°45, 1933) que dans Prométhée.

liiiProméthée, n°6, 1927. Sur une autre vague de déportations de membres du parti Müsavat, n°14, 1928. Le bagne des îles Solovki est aussi signalé dans Istiklâl, “Solofki’dan Istanbul’a”, n°45, 1932.

liv Prométhée, n°35, 1929.

lv Prométhée, n°89, 1934.

lvi Les Azéris parviennent assez fréquemment dans la région de Kars, à tel point que le gouver­nement turc prévoit en 1933 de rassembler les émigrés des régions de Kars, Van, I€dir dans la région de Mufl (Altın Ova) où l’on veut installer 100000 personnes. Prométhée, n°83, 1933.

lvii Le pantouranisme est un chef d’accusation, comme en témoigne de procès de Sagdullah Kassimov à Tashkent, relaté par Mustafa Tchokay dans Prométhée n°44 (1930).

lviii Zarevand (pseudonyme collectif de Z. et V. Nalbadian), Touranie unifiée et indépendante, trad. H. Kurkjian, édité en français par Editions Arméniennes “Drochak”, Fédération révolutionnaire arménienne Dachnaksoutioun, Athènes, 1989, 147 pages. Ce livre fut publié en 1926 en Arménien, puis en russe en 1930 par les soins du périodique anti-prométhéen de Kérenski, Dni.

lix Prométhée, n° 18, pp. 10-14

lx article de Khondkarian, cité dans Prométhée, n°38.

lxi “Le caractère essentiel du nationalisme de la Turquie moderne”, Prométhée, n°18, mai 1928, pp. 10-14.

lxii Mustafa Tchokay, “Les bolchéviks contre le Kémalisme”, Prométhée, n°57, août 1931, pp. 15-18.

lxiii Mustafa Tchokay se gausse d’un journaliste turc qui souhaitait que les cadeaux offerts par l’URSS à l’occasion du Xe anniversaire de la république (quatre avions de combat) soient remplacés par une ouverture aux livres turcs: “Le gouvernement soviétique offrira volontiers à la Turquie, non pas quatre, mais une grande quantité d’avions de guerre plutôt que de consentir à laisser pénétrer (…) ne serait-ce qu’un seul instituteur turc kémaliste.” in “L’amitié turco-soviétique (propositions d’un journaliste turc)”, Prométhée, n°85, décembre 1933, pp. 23-24. Le journaliste turc est Vala Noureddine, qui écrivait dans Hergün.

lxiv S. Ménagari, “Le Caucase et ses voisins” Prométhée, n°89, avril 1934, pp. 24-28.

lxv Prométhée n°14, 1928.

lxvi voir M.T., “Le plan soviétique contre la Turquie”Prométhée n°46, septembre 1930, pp. 18-20; et M. Tchokaïeff, “Les Bolchéviks contre le kémalisme”, Prométhée n°57, août 1931, pp. 15-18.

lxvii Mir, “Les bolchéviks et la Turquie”, Prométhée n°34, septembre 1929, pp. 9-11.

lxviii D’après Smal-Stocky (article cité), le manuel du NKVD pour les officiers de l’Armée rouge en Pologne comprend 84 pages (sur 210) consacrées au mouvement prométhéen.

lxix La liste des publications allemandes dans les territoires soviétiques occupés en fait foi: cf Alexander Dallin, The German Occupation of the USSR in World War Second. A Bibliography. External Research Staff Office of Intelligence Research, Dep. of State, n°112, 1955.

lxx Outre son rôle dans la constitution de la Légion Turkestan, Veli Kayum-Khan a été directeur de la revue Millij Türkistan, “Journal of the National Turkistanian Unity Committee for the Struggle of National Liberation of Turkestan”. Il a succédé en 1967 à V. Jurtci dans cette tâche. Millij Türkistan a pris la suite du Yafl Türkistan de Tchokay et paraissait à Genève, puis à Düsseldorf en turkestanais, en arabe et en anglais.

lxxi Çokayo€lu M.Y., Eflinin A€zından Mustafa Çokayo€lu, Istanbul, Yafl Türkistan Yayını, n° 22, 1972, 166 p. Les rapports établis par Tchokay sur ses visites dans les camps de prison­niers en Allemagne ne sont malheureusement pas communicables…

lxxii cf Önder Zehra, Die türkische Aussenpolitik im zweiten Weltkrieg, Munich, R. Oldenburg Verlag, 1977, 313 p.; Dallin Alexander, German Rule in Russia, 1941-1945. A Study of Occupied Territories Policies. Londres, 1957; Ülküsal Müstecib, Ikinci Dünya Savaflında 1941-1942 Berlin hatiraları ve Kırım’ın kurtulufl davası (Mes souvenirs de Berlin pendant la seconde guerre mondiale (1941-42) et la question de la libération de la Crimée), Istanbul, Kurtulmufl Matbaası, 1976, 152 p.

lxxiii Smal-Stocky Roman, article cité.

lxxiv Baymirza Hayit (né en 1917)est un historien turkestanais, enrôlé dans l’Armée Rouge, qui a été fait prisonnier par les nazis en juillet 1941. Contacté par Kajum Khan, il s’engage dans la Légion Turkestan en mars 1942. Fait prisonnier par les Américains en mai 1945, il reste en Allemagne après sa libération, travaille avec von Mende et devient l’un des principaux anima­teurs de l’Institut de Munich. B. Hayit est un des spécialistes les plus renommés de l’histoire et de la situation politique de l’Asie centrale au XXe siècle. (cf Türk Ansiklopedisi, vol. 19, pp. 107-108).

lxxv Voir la déclaration, remarquable par son esprit d’ouverture, de Georges Gvazawa dans “L’impudence soviétique”, Prométhée, n°54, 1931.

lxxvi cf Alexandre Nekritch, Les peuples punis, Paris, F. Maspéro, 1982, 185 p.

lxxvii Sur ces contacts, voir Jacob Landau, Panturkism in Turkey. A Study in Irredentism, Londres, C. Hurst, 1981, chapitre 4 : “Pan-turkism in the Republic of Turkey: Resurgence”, pp. 108-143.

lxxviii Le titre d’un ouvrage de B. Hayit en est à lui seul un exemple: Sowjetrussischer Kolonialismus und Imperialismus in Turkestan. Als Beispiel des Kolonialismus neueren Stils gegenüber einem islamischen Volk in Asien. Oosterhout, Anthropological Publications, 1965, 117 p., ill. Les peuples turcs étant colonisés par l’URSS et la Chine, l’anti-impérialisme est, dans le monde turc, un thème et un discours de la droite au moins autant que de la gauche.

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