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Susam-Sokak

Turquie - Les racines du présent - Le blog d'Etienne Copeaux


Une lettre de prison d'Ayse Berktay

Publié par Etienne Copeaux sur 28 Décembre 2011, 10:48am

Catégories : #Répression - Justice

[Cette lettre datée du 10 décembre 2011 a été publiée en anglais sur le site d'information Jadaliyya].

ayse.jpg

Image d'achive WTI publiée par Jadaliyya

Cher ***,

J'espère que vous allez bien. J'ai reçu votre lettre, une bonne surprise et très stimulante. Je vous remercie beaucoup, veuillez transmettre mes salutations à tous. Votre présence nous permet de nous sentir plus forts. Je vais bien – nous allons bien. Oui, vous pouvez m'envoyer des livres, cela me ferait plaisir. La prison où je me trouve est l'une des meilleures de Turquie. C'est-à-dire que les conditions ne sont pas horribles comme ailleurs. Mais être privé de sa liberté, être derrière les barreaux en soi est déjà assez horrible. Compte tenu de l'orientation et de la rapidité des nouveaux événements, nos conditions vont peut-être se détériorer. On verra bien.

La situation ici est plutôt critique. Erdogan a tourné le dos à tout semblant de démocratie en Turquie, et il se prépare à intervenir activement dans les pays voisins ; il se sent de plus en plus puissant grâce au soutien des pays occidentaux où il est perçu comme le représentant des prétendus « idéaux occidentaux de la démocratie et la liberté » dans la région. Votre action est précieuse dans le sens où elle dévoile la vraie nature du gouvernement d'Erdogan. Elle est très importante car il se nourrit d'un « prestige démocratique » de façade, qu'il a mis en place pour l'opinion mondiale, tandis qu'il aggrave les mesures contre l'opposition démocratique en Turquie. Son prestige à l'étranger le rend plus fort dans sa lutte contre l'opposition dans le pays. Quiconque n'est pas d'accord avec sa façon de résoudre le problème, ou s'y oppose, est un terroriste, un ennemi. Ça vous dit quelque chose, non ?

Notre travail nous vaut l'accusation d'être des « membres d'une organisation armée terroriste » simplement parce que nous participons aux efforts pour une solution démocratique et pacifique à la question kurde, ou parce que nous sommes membres du BDP [Parti de la paix et de la démocratie], un parti légal qui a obtenu 36 sièges au Parlement – et ce en dépit des obstacles anti-démocratiques inimaginables que le pouvoir lui oppose. On nous a refusé l'accès à toute information complémentaire sur cette affaire. On nous dit que que « notre dossier est confidentiel ». Nos avocats ne savent même pas sur quelles bases on nous accuse, ce qui fait que nous ne pouvons faire aucune déclaration pour notre défense (…).

Dans la recherche d'une solution à la question kurde et pour mettre fin au conflit armé, il existe deux options. Les uns disent qu'il faut continuer à se battre, remporter la victoire et éliminer les « terroristes ». Tuez-les et le problème est résolu ! Les autres préconisent le dialogue, la négociation, l'arrêt des opérations militaires, la discussion. Faire des pas en avant, adopter des lois pour offrir une atmosphère vraiment démocratique qui garantirait une discussion approfondie, où chacun pourrait exprimer librement ses opinions, sans risquer un retour de bâton. Libérer les prisonniers politiques et se parler. Parce que nous privilégions cette dernière position et parce que nous y travaillons, on nous a déclaré la guerre en tant que « terroristes ». Cette option, qui vise à criminaliser toute activité politique légale du BDP, est en fait le choix conscient d'une limitation et d'une restriction de la lutte politique démocratique ; elle offre ainsi une liberté de manœuvre et une priorité aux options militaires. 

C'est pourquoi les protestations contre cette répression anti-démocratique de la lutte politique, et contre le caractère arbitraire de la détention, contre l'usage de la détention arbitraire pour entraver la lutte politique et l'opposition démocratique, sont très importantes. Le pouvoir doit savoir que le monde sait et s'informe.

Je sais que cette lettre n'est pas très structurée. C'est un peu confus, pardonnez-moi. S'il vous plaît envoyez mes salutations à tous.

Avec tous mes meilleurs voeux. Prenez soin de vous.

Ayşe

[traduction en français E.C.]

Voyez également:

Une vidéo sur Ayse Berktay réalisée et publiée par le PEN-International (en anglais)

http://0z.fr/QuFtN (lettre de prison)

"Ayse Berktay est un exemple pour nous" (attribution du prix de l'ONG Brussels Tribunal, septembre 2013)

 

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