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Turquie - Les racines du présent - Le blog d'Etienne Copeaux


Özgüden: Le renouveau ne viendra pas de l'Alliance de la Nation

Publié par Etienne Copeaux, Doğan Özgüden sur 5 Février 2023, 09:57am

Catégories : #Auteurs invité(e)s, #La Turquie d'aujourd'hui, #Nationalisme turc

Alors que les élections présidentielles turques sont maintenant à l'horizon, le 14 mai, les médias français (et sans doute les autres) continuent de faire miroiter la vieille illusion de ceux qui n'ont pas ou mal connu l'avant-Erdoğan: selon ces vues, tous les problèmes que connaît aujourd'hui la Turquie proviendraient de la politique du "Sultan" et de son parti, l'AKP, au pouvoir depuis 2002.

Je me suis efforcé de montrer sur ce blog, pendant des années, que l'ère Erdoğan n'est qu'une aggravation de maux anciens, dont beaucoup sont congénitaux à la république de Turquie. C'est le "mouvement kurde", au sens large, et ses alliés démocrates qui sont porteurs d'un espoir de renouveau: pas de solution au "problème kurde" sans une vraie démocratie en Turquie, pas de démocratie sans une solution du problème kurde.

Aussi, les partis réunis autour de ce qu'on appelle l'"Alliance de la Nation" ou "La Table des Six", mené principalement par le parti kémaliste historique CHP (Parti républicain du peuple) allié notamment à Meral Akşener, ancienne ministre de l'Intérieur et donc actrice de la féroce répression des années 1996-1997, ce parti CHP n'est certainement pas apte à résoudre les problèmes de fond. Au cours des décennies qui ont précédé l'ère Erdoğan, les partis et les gouvernements se sont succédé, droite et gauche et islamistes, sans jamais avoir le courage de se consacrer vraiment au "problème kurde" autrement qu'en laissant faire l'armée et les milices.

Il me semble intéressant ici de reproduire une interview de Doğan Özgüden, journaliste exilé en Belgique, fondateur du média d'information Info-Türk (https://www.info-turk.be) qui explique ses doutes quant au renouveau promis par "la Table des Six".

 

Doğan Özgüden (© Info-Türk)

Doğan Özgüden (© Info-Türk)

Rukiye Adıgüzel, Agence Mezopotamya, 3 février 2023
 
L'Alliance de la Nation (la Table des Six), formée par le Parti républicain du peuple (CHP), le Bon Parti (IYIP), le Parti de la démocratie et du progrès (DEVA), le Parti de l'Avenir (GP), le Parti de la félicité (SP) et le Parti démocrate (DP), a annoncé le 30 janvier le "Protocole d'accord sur les politiques communes" de 240 pages, sur lequel elle travaille depuis 6 mois et qui comprend 73 sous-rubriques telles que l'éducation, la sécurité et l'économie. Ce texte, comprenant les promesses électorales et les mesures et que l'alliance prendra si elle arrive au pouvoir, fut commenté par de nombreux politiciens, intellectuels, journalistes et écrivains comme une forme de "restauration" de l'administration au pouvoir en raison de sa non prise en compte des problèmes fondamentaux du pays. Cette perception a été renforcée par le fait que le contenu de ces articles de "gouvernance", qui ont été proclamés par de nombreux gouvernements depuis le coup d'État militaire du 12 septembre 1980, ne comprend aucune proposition de solution aux problèmes cruciaux de la Turquie, comme la question kurde. Le journaliste Doğan Özgüden a déclaré que depuis de nombreuses années dans l'histoire politique de la Turquie, avant chaque élection, les partis de ce système ont fait leur apparition avec des promesses "brillantes" en soulignant les problèmes actuels. Özgüden a rappelé que contrairement à leurs promesses, ces gouvernements n'ont jamais instauré un ordre démocratique et pacifique, et a noté que ce texte annoncé par l'Alliance de la Nation n'apportera pas de solution aux problèmes fondamentaux de la Turquie.
 
 
 
QUESTION : Tout d'abord, l'Alliance de la Nation a rendu public son projet commun, établi après 11 réunions de concertation. Comment jugez-vous ce texte conçu en 9 chapitres ? Pensez-vous qu'il constituera une solution aux problèmes de la Turquie ?
 
ÖZGÜDEN: Permettez-moi de dire ceci dès le début... Au cours de mes 87 ans de vie, j'ai vécu 20 élections générales depuis 1946, lorsque la Turquie passa supposément à un régime multipartite. 7 élections en Turquie et 13 en exil... Avant chaque élection, les partis du système ont fait de belles promesses mettant également l'accent sur les problèmes actuels, mais même après les élections de 1946, 1961, 1973, 1977, 1999, où le CHP est sorti en tête, la Turquie n'a jamais pu évoluer vers un ordre véritablement démocratique et pacifique. Malgré le grand nombre de partis signataires et le nombre de pages, je ne crois pas que les promesses contenues dans ce document apporteront des solutions aux problèmes fondamentaux de la Turquie. Tout d'abord, parce qu'un des partis qui composent l'Alliance de la Nation est islamiste, deux d'entre eux sont le produit du mouvement ultra-nationaliste, et les deux autres sont des extensions du gouvernement AKP qui a entraîné la Turquie dans les ténèbres actuelles... Et parce que je ne fais pas confiance au CHP, qui porte l'héritage de la dictature du parti unique en Turquie, qui n'a jamais évolué dans le sens de la démocratisation bien qu'il soit arrivé en tête de cinq élections précédentes, et qui, ces dernières années, a fait des concessions aux mouvements ultra-nationalistes et islamistes au nom de la "réconciliation"(helalleşme)...
 
QUESTION : On observe que la question kurde, le problème central en Turquie, n'est même pas abordée. Qu'en pensez-vous ? Un texte commun ne reconnaissant pas la question kurde peut il apporter une solution ?
 
ÖZGÜDEN: Les raisons de ma méfiance résident précisément dans cette question...Une alliance qui ne tient pas compte des revendications et des propositions de la résistance que la nation kurde a entamée après le coup d'État du 12 septembre 1980 et qu'elle a menée au Parlement et sur toutes les tribunes avec le HDP, troisième parti politique de Turquie, malgré les emprisonnements, la torture, les persécutions et la mise sous tutelle des mairies kurdes, et qui n'ose même pas prononcer le nom de Kurde, ne peut pas sauver la Turquie de l'impasse dans laquelle elle se trouve, même si elle arrive au pouvoir avec une majorité absolue aux élections du 14 mai. Ce n'est pas seulement la question kurde... Il n'y a aucune promesse dans le texte commun sur des questions fondamentales telles que la reconnaissance des génocides arméniens, assyriens et kurdes commis au cours des cent ans d'histoire de la République, et même avant, et la libération immédiate et la possible participation à la vie politique des persécutés au cachot pour avoir défendu rien de plus que leurs droits nationaux... En revanche, alors que l'on promet de poursuivre à toute vitesse la "lutte contre le terrorisme", il n'y a pas de contre-proposition sur les opérations militaires de l'autre côté de la frontière lancées par Tayyip Erdoğan... Comme le souligne à juste titre Meral Bektaş, ce texte n'est rien d'autre qu'un projet de restauration qui tente de réparer l'anarchie créée par l'AKP plutôt qu'une solution structurelle profondément ancrée.
 
QUESTION: L'Alliance du Travail et de la Liberté a fait connaître sa feuille de route lors d'une déclaration le 24 septembre. Pensez-vous que cette Alliance peut résoudre les problèmes de la Turquie actuelle ?
 
ÖZGÜDEN: À mon avis, l'Alliance pour le travail et la liberté est la seule alternative crédible aux élections du 14 mai face au manque de sincérité et à l'incompétence des partis de l'Alliance populaire qui ont signé ce texte commun d'une part, et d'autre part, face à la poursuite de l'agression de l'Alliance du Peuple, qui a entraîné la Turquie dans les griffes d'une dictature islamo-fasciste pendant 20 ans. Le manque de sincérité et l'inadéquation de l'Alliance de la Nation en termes de démocratisation avaient déjà été révélés par son refus constant d'établir un dialogue avec le HDP, troisième force politique du Parlement. Le malaise de Meral Akşener sur cette question a toujours été présenté comme la raison apparente d'absence de dialogue avec le HDP. Permettez-moi de vous rappeler brièvement, sans trop entrer dans les détails... Alors que le groupe HDP a voté "non" par principe lors des projets de loi présentés au Parlement par Tayyip Erdoğan pour attaquer l'Irak, la Syrie et le Haut-Karabakh, les groupes CHP et İYİP l'ont laissé seul et ont voté "oui", signant des textes faisant l'éloge de l'agression au nom du "Parlement vétéran". Je ne pense pas que le groupe de l'Alliance de la Nation qui sera représenté au Parlement après les nouvelles élections fera un effort de dialogue et de coopération avec l'Alliance du Travail et de la Liberté qui, je l'espère, formera un groupe vigoureux. Je pense que le peuple de Turquie, qui a soif de démocratie et de liberté, ne devrait pas être trompé par les promesses alléchantes de l'Alliance de la Nation et devrait soutenir l'Alliance du Travail et de la Liberté lors des prochaines élections afin d'envoyer un groupe véritablement puissant au Parlement. C'est pourquoi je félicite et souhaite bonne chance à la formation, hier à Cologne, de la Coordination électorale européenne et internationale de l'Alliance pour le travail et la liberté, qui veille à ce que les immigrés et les exilés se trouvant à l'étranger votent en faveur de la démocratie et de la paix.
 
Kemal Kılıçdaroğlu, président du Parti républicain du peuple (CHP) scelle son alliance avec Meral Akşener, présidente du réactionnaire "Bon parti' (Iyi Parti). Photo Cumhuriyet, 21 octobre 2021

Kemal Kılıçdaroğlu, président du Parti républicain du peuple (CHP) scelle son alliance avec Meral Akşener, présidente du réactionnaire "Bon parti' (Iyi Parti). Photo Cumhuriyet, 21 octobre 2021

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A
Et le problème Arménien, sera-t-il réglé et notamment l'alliance avec l'Azerbaïdjan et les intention d'effacer tout présences Arméniennes dans le HAUT KARABAGH.<br /> La reconnaissance du génocide de 1915 et les 1.500.000 Arméniens massacrés?<br /> La Turquie ne pourra se renouveler qu'après avoir reconnu le génocide Arménien. Sans cela cette négation sera le cauchemar de la Turquie. .
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E
Je suis bien d'accord avec vous. Mais la Turquie ne le reconnaîtra probablement jamais, puisque le génocide est le fondement même de la nation turque telle qu'elle existe. Il faudrait pour cela une extraordinaire révolution des mentalités. Voir à ce propos l'article "Ce que le génocide a fait à la Turquie"

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