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Susam-Sokak

Turquie - Les racines du présent - Le blog d'Etienne Copeaux


La Turquie : peste ou choléra

Publié par Etienne Copeaux sur 26 Juillet 2016, 07:21am

Catégories : #La Turquie d'aujourd'hui

La Turquie : peste ou choléra

Le dernier coup d'Etat en Turquie, qui a échoué au bout de quelques heures, a été suivi d'une chasse aux sorcières dans les rues puis de la répression que le président Erdogan avait promise dès sa première intervention dans la nuit du 15 au 16 juillet : « Ils vont le payer cher ». Il a appelé la foule de ses partisans à sortir dans les rues. En trois jours, la répression a été mise en place : 3 000 arrestations, 60 000 révocations de fonctionnaires.

Voici le texte de la vidéo publiée par le Huffington Post le 26 juillet (lien ci-dessus) :

 

L'armée turque a opéré quatre coups d'Etat en 37 ans. Nous venons d'assister au premier coup d'Etat raté, et c'est significatif : précédemment, c'est toute l'armée qui intervenait. Les putsch étaient parfaitement exécutés, et la répression consécutive si féroce qu'il n'y a jamais eu de résistance. Après le coup de 1980, il y a eu 60 000 arrestations, presque toutes suivies de tortures.

L'armée pesait tellement sur la vie politique qu'en 1997, il a suffi qu'elle menace d'intervenir pour que le gouvernement islamiste de l'époque démissionne.

Pendant un demi-siècle, l'armée a exercé le pouvoir politique par le biais du Conseil de Sécurité nationale, présidé par des militaires. Aucune critique de l'armée n'était tolérée. Le soldat turc bénéficiait d'un respect absolu dans la société.

Par deux purges successives, Erdogan a mis fin à cette domination. Même la guerre contre les Kurdes est menée principalement, désormais, par des corps de police spéciale et des gendarmes d'élite qui échappent au contrôle de l'armée.

 

1) L'armée turque était-elle vraiment la « gardienne de la laïcité » comme on l'affirme souvent ?

En 1997, elle a mis fin à un gouvernement islamiste, puis elle a obtenu la destitution et l'emprisonnement d'Erdogan lui même, alors qu'il était maire d'Istanbul.

Mais l'armée n'est pas laïque : elle est nettement confessionnelle, et a renforcé en 1980 le caractère confessionnel, musulman, de l'Etat turc. Elle a rendu l'enseignement religieux obligatoire, favorisé la création d'écoles religieuses, et a encouragé l'idéologie de la « synthèse turco-islamique », selon laquelle « La nation turque est musulmane ». C'est le credo du nationalisme turc depuis un siècle.

L'idée de nation turque est inséparable de l'islam.

D'ailleurs, comment un pays qui a éliminé la quasi totalité de sa population non musulmane, par génocide, massacres, pogroms et expulsions de masse, comment un tel pays pourrait-il être laïque ?

La conception religieuse de la nation n'a jamais été remise en cause par l'armée ni par la classe politique ; elle est évidemment celle d'Erdogan, qui l'a poussée plus loin. Selon ce national-islamisme, exclusivement sunnite, plusieurs groupes ne font plus partie ni de l'islam ni de la nation : les laïques, considérés comme des « athées » ; les Alévis, branche de l'islam chiite propre à la Turquie ; et les Kurdes, puisqu'ils se rebellent contre une nation qui se veut « fer de lance » de l'islam.

 

2) Dans les premières heures du putsch, on a souvent prétendu qu'avec Erdogan c'est la démocratie qui aurait gagné !

En ce qui concerne la démocratie en Turquie, il faut mettre les points sur les i.

Certes la Turquie a un système parlementaire pluraliste. Mais il existe depuis longtemps dans la vie politique un système de « consensus obligatoire », exigé de tout citoyen. Il écarte du débat les questions de fond comme la question kurde, le génocide des Arméniens, la question chypriote. Le non-conformisme est sanctionné par la constitution, le code pénal, et des institutions de contrôle et de répression spécifiques... Le tout est consolidé par un efficace système de délation.

La Turquie a donc toujours été un Etat coercitif.

 

Sous Erdogan, certes le système électoral fonctionne à peu près selon les règles.

Mais pour parler de démocratie... il faudrait oublier la répression dans le Kurdistan turc, qui a atteint depuis un an un degré extrême de violence, allant jusqu'au meurtre de masse et à la destruction de quartiers entiers.

Il faudrait oublier le contrôle et la répression des fonctionnaires, les rafles, les vagues d'arrestations massives de journalistes, enseignants, universitaires, avocats, étudiants, militants écologistes qui n'ont pas cessé depuis 2009. D'ailleurs en 2008 la Turquie s'est dotée de la plus grande prison d'Europe.

La Turquie d'aujourd'hui est une « dictature élue » qui s'appuie sur une idéologie national-islamiste, et un groupe social, les petites gens des villes, très perméables au discours national et religieux délivré par les imams, sur le terreau du discours scolaire. Le mouvement des Loups gris, ultra-nationaliste, raciste et violent appuie cette idéologie.

 

Même avant l'état d'urgence, presque tous les instruments institutionnels de répression existaient, notamment l'arsenal juridique anti-terroriste. L'appareil policier existait, il a été purgé et renforcé, ses méthodes de répression aggravées après le mouvement de Gezi.

C'est la répression officielle.

Mais la manipulation de la foule est plus dangereuse encore, et là nous touchons à un caractère récurrent de la vie publique en Turquie. Les défilés d'intimidation, passages à tabac, lynchages, mises à sac de commerces, touchant ceux qui refusent de crier leur soutien à Erdogan, et les Alévis, ne sont pas sans rappeler les pogroms et massacres des décennies précédentes.

 

Si j'évoque ainsi le passé, c'est pour exprimer qu'il s'agit là de courants profonds et puissants, populaires et aptes à mobiliser les foules très rapidement, d'autant qu'il n'y a plus rien en face : l'armée, les partis de gauche, la société civile sont impuissants.

La Turquie n'avait le choix qu'entre la peste et le choléra. Si le putsch avait réussi, cela n'aurait pas été une bonne nouvelle pour la démocratie, ni surtout pour les Kurdes. Erdogan est victorieux, et c'est pire : la démocratisation du pays attendra encore longtemps.

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H
Je vais, comme d'habitude, vous remercier. Merci de participer, même avec le peu de visibilité que vous avez (j'aurais aimé qu'on vous invite à vous exprimer davantage) au débat. Merci de clarifier, de préciser là où d'autres se fourvoient. J'ai eu besoin, moi aussi, d'écrire un petit billet, beaucoup moins précis que le vôtre, sur le sujet tant j'ai l'impression, en écoutant ou lisant les infos, que la Turquie c'était mieux avant etc...
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E
Il ne s'agit pas non plus de dire qu'avant Erdogan c'était pareil. Je veux dire surtout qu'il y avait des germes qu'Erdogan s'est contenté de faire pousser. Mais je pense que tout était là en gestation.

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