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Susam-Sokak

Turquie - Les racines du présent - Le blog d'Etienne Copeaux


"Citoyens turcs de nationalité étrangère"

Publié par Etienne Copeaux sur 24 Avril 2011, 09:51am

Catégories : #Répression - Justice, #Sous la Turquie - l'Anatolie

 

Aujourd'hui 24 avril journée de commémoration du génocide des Arméniens...

De Turquie nous vient presque chaque semaine une mauvaise nouvelle. Dans la dernière livraison de Turquie européenne  (http://turquieeuropeenne.eu/article4755.html), Baskin Oran, un des meilleurs politologues de ce pays, nous explique une récente évolution du droit, portant sur la capacité du citoyen à ester en justice – c'est à dire le droit de se porter partie civile lorsqu'on s'estime concerné par une acte délictueux ou criminel dont on n'a pas été directement victime.

J'avais relevé, en son temps, cette curieuse disposition qui avait permis voici une quinzaine d'année, à des citoyens quelconques de porter plainte contre des quidams qui leur étaient parfaitement inconnus, mais qui auraient proféré des insultes à l'encontre d'Atatürk (mort depuis 73 ans...) ; en l'espèce, le criminel visé était le maire d'une commune de la banlieue d'Istanbul qui avait mis un buste d'Atatürk dans les toilettes. Malheureusement cela n'avait pas fait rire.

Il s'agit de l'article 301 du code pénal qui réprime les « insultes à l'identité turque ». En 2008, dit Baskin Oran, on s'était cru soulagé car le ministère de la justice avait mis un bémol sur l'application de cet article. Or, fin mars 2011, la Cour de cassation a de nouveau reconnu le droit d'ester en justice à des militants ultra nationalistes à l'encontre du prix Nobel Orhan Pamuk, qui aurait « insulté la nation turque » en admettant que les Turcs avaient tué 30 000 Kurdes et un million d'Arméniens.

Cette disposition juridique est évidemment très grave, puisque chacun peut se porter partie civile dans une telle affaire. Chacun ? Tout citoyen de la république de Turquie ? Non, vous n'avez rien compris : seul un « Turc » peut le faire, et tout citoyen de la république de Turquie n'est pas un « Turc ». Pour être « Turc », il faut être musulman ; les autres (orthodoxes, juifs, arméniens) sont « des citoyens turcs de nationalité étrangère ». Un concept intéressant ! Baskin Oran vous donne quelques exemples de l'application de ce principe, conforme à l'idéologie de la « synthèse turco-islamique " qui prévaut depuis 1980. Voici comment Baskin Oran conclut son article :

« Et au-delà de toutes ces choses, ces juges ont sérieusement mis en danger la liberté d’expression en Turquie. À partir de maintenant, personne ne pourra plus se pointer et dire que « l’islam avilit les femmes » parce qu’après cet arrêt Pamuk, tous les musulmans seront en droit d’intenter un procès en indemnisation. Personne ne pourra plus dire que « la Turquie tient Chypre sous le joug de l’occupation », parce que désormais, tous les Turcs seront en droit de lui intenter un procès. »

La Turquie, un modèle pour les pays arabes? Alors bonne chance aux Kurdes de Syrie, aux Coptes d'Egypte, aux Kabyles d'Algérie. Dans le Proche-Orient actuel, seul Israël applique une législation semblable, héritée du passé ottoman, et qui avait bien arrangé les sionistes.

Voici peu j'avais entendu quelqu'un affirmer, sur une radio publique, que certes, il y a des problèmes en Turquie, mais tout de même, la Turquie n'a-t-elle pas adopté les codes juridiques suisses ?

La Turquie en Europe ? Pas avec un système juridique pareil!  Sarkozy serait capable de s'en inspirer en arguant de son origine helvétique !

NB - Sur les étranges définitions de la citoyenneté en Turquie, voir mon article "Citoyenneté turque, territoire anatolien", sur ce blog.

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