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Susam-Sokak

Turquie - Les racines du présent - Le blog d'Etienne Copeaux


De choses et d'autres, sur Chypre

Publié par Etienne Copeaux sur 15 Septembre 2014, 09:08am

Catégories : #Chypre

De choses et d'autres, sur Chypre

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Le nord de Chypre est traversé par la chaîne du Pentadactyle, montagne spectaculaire et magnifique. Elle a un endroit et un envers; l'endroit, le versant nord, abrité des chaleurs, couvert de belles forêts de pins, et qui donne sur la mer; l'envers, le versant sud, cuit par le soleil, qui domine la plaine centrale, jaune en été, toute verte des blés verts en hiver et au printemps. Sur les deux versants, de nombreux villages, car il y a partout de grosses sources.

Le charme, la beauté de l'"endroit" font partie du passé: l'étroite plaine côtière, entre mer et montagne, est presque entièrement couvert de villas hideuses, de villages de vacances pour Russes et Israéliens. La côte est de plus en plus privatisée. La circulation est si dense, malgré une nouvelle voie de contournement, qu'il est presque impossible de traverser Kyrenia à certaines heures de la journée.

En 1995, nous avons connu "la Belle au bois dormant", cette côte magnifique qui était restée inchangée depuis l'invasion de 1974. De place en place, il n'y avait que quelques anciens hôtels, souvent désertés. Sur 100 km, la côte était vierge.

En Méditerranée, de telles choses ne pouvaient pas durer. Maintenant la côte est fichue, comme elle l'est aussi au sud, du côté de Paphos.

La municipalité de Lapta toutefois a préservé une bande côtière de quelques dizaines de mètres, empêchant la privatisation, et y a installé, avec l'aide de l'UE, un chemin de promenade côtier de plusieurs km, accessible aux fauteuils roulants: excellente chose, bon point pour Lapta.

Et l'envers? Apparemment il est resté intact et très beau, toujours aussi grandiose, préservé. Endormi même; les villages n'ont guère changé, sentent toujours la paille et le mouton. Seuls les plus proches de Nicosie tendent à devenir des villages-dortoirs avec de nombreuses maisons nouvelles.

Mais ce n'est qu'apparence. Un jour ce versant sera lui aussi dégradé. Car pour construire les maisons, villas et villages de vacances, il faut du gravier et de la roche. Aussi le versant sud est de plus en plus dynamité. De gigantesques et hideuses carrières rongent la montagne, détruisant la végétation, accélérant l'érosion. Depuis dix ans le nombre de carrières s'est multiplié, de plus en plus visibles, ces blessures de la montagne accrochent le regard. Il n'y aura peut-être plus, un jour, de chaîne de Pentadactyle.

 

***

 

Le tout petit village de Fota (Dagyolu) est au pied du versant sud du Pentadactyle. Autrefois, sa pauvreté était raillée: "A Fota ils n'ont ni eau ni téléphone, mais ils ont un beau drapeau et un buste d'Atatürk". Maintenant ils ont meme un stade et un terrrain de jeux pour les enfants. Le cimetière, très ancien, est remarquable: de simples monolithes dressés, sans aucune inscription.
Il y a là un café tenu, depuis longtemps, par une dame. Elle est agée, mais elle est toujours là. En face, un boucher propose, en fin de semaine, un fameux kleftiko; on a l'impression d'être au fond d'une grotte.
Le café ouvre à la fin de la sieste. On voit bien qu'il est tenu par une dame: les chaises parfaitement rangées autour de la salle, très propre. Au mur, le portrait du patron défunt. La Turquie: portraits d'Atatürk et de Bülent Ecevit, qui a lancé l'armée sur Chypre en 1974. Pour Chypre et ses Turcs: Küçük, Denktas et Eroglu.
Quelques hommes agés entrent, qui vont passer là tout l'après-midi. Nous bavardons un peu. Spontanément l'un d'eux nous dit: "C'est un village tranquille: il n'y a aucun étranger ici" Je demande: "Vous voulez dire: des Türkiyeli [les Turcs de Turquie]?". Il pousse un juron et crache. Nous avons déjà vecu cette scène, dans d'autres villages, au cours de notre enquête.
Il se met à me parler de Londres, pour me montrer qu'il n'est pas si plouc qu'il n'en a l'air. Ses fils vivent là-bas. "J'y vais quand je veux, et j'irais ailleurs si je voulais". Il fouille dans sa poche, se lève et vient me mettre sous le nez sa carte d'identité de citoyen de la république de Chypre, citoyen de l'Union européenne, rédigée en grec, en turc et en anglais. La citoyenneté chypriote, depuis 2004, est un titre de noblesse car elle n'est délivrée, par les autorités du sud, qu'aux personnes originaires de Chypre. Elle leur donne le droit de circuler librement dans toute l'ile et dans toute l'Europe.

 

***

 

Hier dimanche, nous étions invités chez Ali et Sibel. Ils n'ont pas changé depuis dix ans, les parents de Sibel non plus. C'est bien la preuve que dix ans, ce n'est rien!
Comme d'habitude, Sibel s'est surpassée, elle veut chaque fois nous faire une démonstration culinaire de la culture proprement chypriote: molochia accompagnée d'un excellent ragout d'agneau, dolma de fleurs de courgettes, câpres au vinaigre etc. Nous bavardons sur ce qui est advenu depuis dix ans. De nos jardins, de Chypre, de ce qui change et ne change pas. Un peu pessimistes, un peu optimistes tout de même. On relève que des concours cynophiles ou des rallyes automobiles, et d'autres petites choses, sont organisés de façon bi-communautaire.
Nous évoquons avec eux les propos de notre amie du sud, qui est assez optimiste et croit aussi que la situation évoluera par la base, lentement, grâce à des initiatives modestes qui font que les deux communautés se connaîtront peu à peu, que les gens cesseront d'avoir peur. Je leur dis que cette amie nous corrige, quand nous disons "Turc" ou "Rum" : "Il n'y a que des Chypriotes". Ils sont d'accord.
Sibel et Ali soulignent le danger d'invasion, par les étrangers, et par les Turcs de Turquie (Türkiyeli). Au moment de l'appel à la prière ils font la grimace: il suffit que les Türkiyeli fassent une pétition dans un village et hop, ils ont tout de suite une mosquée flambant neuve! Si un candidat veut être élu à la mairie, il suffit de leur promettre une mosquée.
De fait il y a des mosquées neuves, blanches, à deux minarets, surdimensionnées, un peu partout maintenant. Avec d'excellents haut-parleurs, qui portent à des kilomètres. Un jeune nous a certifié que toutes les mosquées puisent le chant de l'appel à la prière sur un site Internet: les culs-bénis (yobaz) n'ont meme plus besoin de muezzin. Il est vrai qu'on entend des chants de qualité, et qu'il est peu probable qu'il y ait de tels artistes dans chaque village.
Bref, à la fin du repas, après avoir goûté à toutes les préparations possibles du madjoun de noix verte et aux caroubes séchées, Sibel nous rejoue la même scène conclusive de notre livre: pendant que nous bavardons, elle nous épluche une grenade que nous picorons en parlant de nous, de Chypre et du monde...

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